Daily Weekly Monthly

Daily Shaarli

October 4, 2023

Et maintenant, l'interdiction de certains VPN en France sur smartphone ? - Numerama
thumbnail

Et maintenant, l’interdiction de certains VPN en France sur smartphone ?

Julien Lausson : L'amendement qui assume son inefficacité

Certains VPN pourraient être exclus de l’App Store et de Google Play en France. Un amendement souhaite conditionner leur visibilité sur les boutiques d’applications pour smartphone au bon respect de la loi.

Nouvel assaut contre les VPN à l’Assemblée nationale, alors que le projet de loi sur la sécurisation et la régulation de l’espace numérique (dite loi SREN) entre en débat en séance publique à partir du 4 octobre. En effet, des députés du groupe Horizon et apparentés (centre droit) soutiennent un nouvel amendement qui entend exclure certains VPN de l’App Store (iOS) et de Google Play (Android).

L’objectif affiché de l’amendement est d’empêcher les internautes d’accéder à des applications de VPN qui permettraient « l’accès à un réseau Internet non soumis à la législation et règlementation française ou européenne ». Mais, considérant que les fournisseurs de ces VPN pourraient ne pas jouer le jeu, les députés misent donc sur Google et Apple pour faire le tri.

En effet, la proposition de mise à jour législative entend confier aux deux sociétés américaines la mission de faire la police sur chaque store. Ainsi, Google Play et l’App Store doivent s’assurer de ne garder que les applications en conformité avec la législation. Sinon, la boutique fautive s’exposera à une amende pouvant atteindre 1 % de son chiffre d’affaires mondial.

Ce n’est pas la première fois que la question des VPN est abordée dans le cadre du projet de loi SREN. En commission, un autre amendement — retiré depuis — avait été déposé pour interdire l’utilisation d’un VPN pour interagir activement sur un réseau social. En clair, l’utiliser pour consulter le site communautaire, oui. S’en servir pour publier ou commenter, non.

L’amendement, qui figure parmi le bon millier déposé en séance publique, et qui suit les 952 examinés en commission, doit encore être débattu, à supposer qu’il ne soit pas déclaré irrecevable par les services de l’Assemblée nationale. Les VPN font par ailleurs l’objet de deux autres amendements, mais qui demandent la production de rapports (amendements 662 et 916).

Des faiblesses techniques déjà relevées

Signalé sur X par le journaliste Marc Rees, l’amendement fait face à des limites techniques notables. D’abord, il n’adresse en aucune façon la possibilité de se servir d’un VPN sur son ordinateur. Or, les solutions du marché fournissent tout le nécessaire pour se connecter à un réseau privé virtuel depuis un PC sous Windows, Mac ou Linux.

Autre enjeu : il est possible d’installer une application en zappant la boutique officielle. Cela demande un peu d’huile de coude, et tout le monde ne saura pas (ou n’osera pas) installer un APK sur son smartphone, mais cela reste une manipulation accessible. Sur un strict plan de sécurité informatique, ce n’est toutefois pas le plus conseillé, si l’on ignore ce que l’on fait.

On peut installer une application mobile sans passer par une boutique officielle

Toujours est-il que c’est cette méthode qui est utilisée pour récupérer des applis avant l’heure (Threads, ChatGPT, Mario Kart), par exemple pour ne pas être soumis à un quelconque blocage géographique… C’est aussi d’ailleurs comme cela que l’on peut installer une vieille version d’une application mobile, pour assurer une compatibilité ou retrouver une fonctionnalité.

Les limites techniques apparaissent d’ailleurs admises par les parlementaires eux-mêmes, qui se disent « conscients de l’impossibilité technique d’encadrer le recours à des VPN, notamment dans un but de contournement de la loi ». Il s’agirait moins de proposer un amendement applicable que de soulever le sujet « afin, à terme, de trouver une solution technique pertinente et efficace. »

Pornhub, YouPorn, Xvideos… Comment les « tubes » ont bouleversé le porno
thumbnail

Pornhub, YouPorn, Xvideos… Comment les « tubes » ont bouleversé le porno

Par Pauline Croquet , Damien Leloup et Florian Reynaud

Publié hier à 20h00, modifié à 01h36 sur Le Monde

En quelques années, ces sites ont imposé comme modèle l’accès facile et gratuit à une masse de contenus pour adultes, souvent peu contrôlés. Ils sont aujourd’hui au cœur d’un rapport du Haut Conseil à l’égalité, mais aussi des débats sur les outils de vérification de l’âge des internautes, discutés mercredi à l’Assemblée nationale.

​ Août 2006. Alors que YouTube est encore un « petit » site peu connu (il ne sera racheté par Google que trois mois plus tard), un site pornographique d’un genre nouveau est discrètement mis en ligne : nom similaire, page d’accueil avec des vignettes imagées, possibilité de mettre en ligne ses propres contenus… YouPorn reprend les codes de ce qui deviendra le géant mondial de la vidéo.

​ Et le succès est immédiat. A la fin du mois de novembre, les administrateurs anonymes du site remplacent la page d’accueil par un message d’erreur : « Nous sommes à court de bande passante ! Nous avons utilisé 31 téraoctets en deux jours, sur 2 300 000 téléchargements [visionnages]. Nous cherchons des fournisseurs de serveurs illimités en Europe. »

​ Ces audiences, stratosphériques pour l’époque, ne passent pas inaperçues. L’année suivante, des dizaines de clones apparaissent en ligne, dont certains sont toujours présents aujourd’hui dans le top mondial des sites les plus visités. Pornhub, RedTube, Xvideos et Xhamster se lancent ainsi à quelques mois d’intervalle, marquant le début d’une guerre des « tubes » – le nom qui désignera les sites de ce type – qui durera des années.

​ Monter un site de ce type n’est pas particulièrement compliqué. Les outils techniques, et notamment les algorithmes de compression vidéo indispensables pour limiter les frais de bande passante, se démocratisent très vite. Trouver du contenu est également très simple : outre une poignée de vidéos amateur tournées et mises en ligne par les utilisateurs, l’écrasante majorité est pillée sur les sites payants ou d’autres « tubes ». Aucune modération, aucun contrôle de l’âge des internautes, aucun scrupule, mais des audiences gigantesques : le modèle des « tubes » bouscule en quelques années le monde de la pornographie en ligne.

Une oligarchie du porno

​ Dans le chaos de ces premières années, un homme va jouer un rôle déterminant : Fabian Thylmann. Ce jeune Allemand s’est spécialisé dans la publicité des sites pour adultes et investit dans plusieurs « tubes », dont il finit par prendre le contrôle, notamment Pornhub et YouPorn. Ses différentes plates-formes font à l’époque l’objet de dizaines de plaintes pour infraction au droit d’auteur, déposées par les sociétés de production et les studios du X.

​ Grâce à l’argent accumulé par ses sites, Fabian Thylmann résout en partie le problème… en s’offrant les entreprises qui l’attaquent. Brazzers, qui avait des accords avec certains « tubes », est rachetée en 2009 ; trois ans plus tard, le mastodonte Digital Playground et Reality Kings passeront également sous son contrôle.

​ L’ascension éclair de Fabian Thylmann est brutalement stoppée en 2012 lorsqu’il est interpellé et mis en examen pour fraude fiscale. Il revend l’année suivante son empire du porno – considéré comme le plus grand au monde – à deux autres entrepreneurs du secteur, les Canadiens Feras Antoon (cofondateur de Brazzers) et David Tassilo. C’est la naissance de MindGeek, aujourd’hui rebaptisé Aylo. Son principal concurrent, WGCZ Holding (Xvideos, Xnxx…), fondé par les Français Stéphane et Malorie Pacaud, rachète ou lance lui aussi en parallèle des studios en plus de ses sites de « tubes », comme Bang Bros et Legal Porno. Avec Wisebits Group (Xhamster, Stripchat), ces trois holdings contrôlent l’écrasante majorité des sites gratuits pour adultes les plus populaires au monde.

​ En quelques années, une poignée de plates-formes a ainsi révolutionné la manière dont les internautes accèdent aux vidéos pornographiques. « Quand les premiers “tubes” sont apparus, personne n’avait conscience d’à quel point ils allaient complètement modifier les habitudes de consommation de vidéos, se souvient Carmina, actrice et réalisatrice indépendante de films pour adultes et également rédactrice en chef du site spécialisé Le Tag parfait. Mais ça n’est pas propre au porno : c’était exactement la même chose pour YouTube ! »

Changement d’échelle et « prescription »

​ Des sites pour adultes existaient bien sûr avant l’arrivée de Xvideos ou Pornhub, mais les « tubes » ont solidifié l’idée que la pornographie était, au moins en partie, accessible gratuitement en ligne, donnant lieu à un changement d’échelle. « La montée des “tubes”, avec leur offre infinie de vidéos gratuites, a coïncidé avec le déclin global de l’économie de 2008 (…), et la très forte demande a entériné le fait que de nombreux utilisateurs ne seraient plus prêts à payer pour leur porno », expliquait en 2019 la chercheuse Margaret MacDonald (aujourd’hui au conseil consultatif de la maison mère de Pornhub) dans sa thèse sur l’industrie du porno.

​ L’avènement de ces plates-formes coïncide par ailleurs avec l’apparition des smartphones. Ensemble, ces deux éléments ont fait entrer le porno dans la sphère domestique, selon le chercheur Florian Vörös. « On peut le visionner en déplacement, dans les toilettes au travail, ça va changer les pratiques pour aller dans le sens d’une consommation qui s’insère dans les routines de la vie quotidienne », explique le sociologue à l’université de Lille.

​ Jusqu’à créer des addictions ? Répondant à un appel à témoignages du Monde, plusieurs internautes ont confié leur malaise devant leur propre consommation, mettant souvent en avant la facilité d’accès à la pornographie comme un facteur déterminant. Et sur le forum américain Reddit, certaines communautés rassemblent depuis des années des centaines de milliers de personnes exprimant une souffrance générée par une consommation massive de contenus pour adultes. Même si, d’un point de vue scientifique, l’addiction à la pornographie fait encore l’objet de nombreux débats.

​ Reste que les « tubes », en rendant tous les types de sexualité accessibles, les ont aussi rendus plus visibles. Côté pile, cela permet d’explorer librement sa sexualité, y compris lorsqu’elle va à rebours de tabous sociétaux : aux Etats-Unis, plusieurs études ont montré que la consommation de vidéos mettant en scène des personnes homosexuelles ou transgenres était proportionnellement plus forte dans les Etats les plus conservateurs. Côté face, ces plates-formes rendent aussi plus accessibles des contenus violents ou extrêmes, a fortiori lorsqu’elles sont mal, voire pas du tout, modérées.

​ Car, depuis leur apparition, une vive controverse existe sur leur caractère « prescripteur », faisant écho à un débat similaire plus large concernant l’impact de la pornographie sur la sexualité de ses consommateurs. Pornhub et ses concurrents sont ainsi régulièrement accusés de promouvoir, sur leur page d’accueil ou dans les suggestions de vidéos, une image violente, caricaturale ou malsaine de la sexualité, notamment avec le système des « tags ». Ces mots-clés peuvent aussi bien renvoyer à des descriptions physiques des actrices et acteurs qu’aux actes sexuels présentés ou au décor des vidéos. Nombre d’entre eux sont régulièrement dénoncés pour leur teneur raciste et misogyne, ou encore lorsqu’ils font la promotion de l’inceste.

​ « Certes, quand on a un intérêt spécifique, un “kink”, c’est hyperpratique pour trouver des vidéos correspondantes, reconnaît Carmina. Le problème, c’est qu’ils ont tendance à être fortement sexistes, racistes, classistes, hétéronormés… Catégoriser les corps avec des tags, ça peut être un problème ; mais les problèmes sur la vision du corps de la femme, ça n’est pas un débat inhérent au porno, c’est dans toutes les industries, dont le cinéma. »

La bataille du contrôle de l’âge

​ Devenus incontournables, la plupart des gros « tubes » ont tenté ces dernières années d’asseoir une forme de légitimité et d’engager un processus de « normalisation ». Certains ont mis fin au piratage à grande échelle de contenus, ont lancé des services pour rémunérer les « modèles », et tous ceux appartenant à de grands groupes ont conclu des accords avec des plates-formes payantes. En début d’année, MindGeek a même été racheté par Ethical Capital Partners, un fonds d’investissement canadien.

​ Mais tous sont encore aujourd’hui visés par des plaintes en justice et des enquêtes dans divers pays. De nombreux articles de presse récents ont montré que ces sites continuaient d’héberger des vidéos illégales, de violences sexuelles notamment, et ne répondaient pas, ou trop tardivement, aux demandes de suppression de contenus relevant du revenge porn (« pornodivulgation »), qui consiste à diffuser sans le consentement de quelqu’un des images censées rester privées. Le studio Legal Porno est notamment accusé d’imposer des conditions de travail et des scènes extrêmement violentes aux actrices : une enquête a été ouverte en République tchèque. En France, le scandale French Bukkake a révélé des pratiques violentes et un système de « prédation » organisé pour les tournages de ce site, en accès payant mais dont les vidéos se retrouvent aussi sur certains « tubes ».

​ De son côté, Pornhub a joué un rôle central dans le scandale Girls Do Porn, un studio accusé d’avoir monté un vaste système d’intimidation et de coercition pour imposer à des femmes de tourner des scènes en leur promettant une distribution confidentielle, alors même que les vidéos étaient diffusées sur des sites à forte audience. La plate-forme a également été impliquée en 2020 dans un autre scandale après la publication d’une enquête du New York Times sur la présence sur le site de vidéos pornocriminelles et de viols. A l’époque, Visa et Mastercard avaient coupé leurs services auprès de Pornhub, et l’entreprise avait supprimé en catastrophe une grande partie des contenus mis en ligne par ses utilisateurs.

​ Quatre plates-formes de « tubes » (Pornhub, Xvideos, Xnxx et Xhamster) sont directement visées par le récent – et controversé – rapport sur la pornographie du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, publié en France le 27 septembre.

​ Plus menaçant encore pour ces sites, une bonne dizaine d’Etats américains et plusieurs pays, dont la France, ont cherché ces trois dernières années à leur imposer un contrôle strict de l’âge de leurs visiteurs. En Louisiane, où un mécanisme de vérification a été mis en place, Pornhub a « instantanément vu son trafic chuter de 80 % », expliquait à la mi-juillet au Monde Solomon Friedman, l’un des dirigeants de Aylo, propriétaire de la plate-forme. Dans l’Hexagone, le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique, débattu mercredi 4 octobre à l’Assemblée nationale, veut permettre le blocage des sites qui ne se plient pas aux règles, sans avoir à passer par une décision de justice.

​ Partout où elles sont proposées, ces lois imposant la vérification d’âge sont férocement contestées par les « tubes ». Système en double anonymat, empreinte de carte bleue, analyse faciale… si les modalités techniques d’un tel contrôle sont débattues, ce qui se joue en réalité est surtout leur modèle économique. Pour des sites qui ont bâti leur empire sur des revenus publicitaires et un océan de contenus accessible en deux clics, tout système de vérification constituera une entrave. Et donc une menace existentielle.

La Chine confrontée au trafic des “visages volés” de l’intelligence artificielle
thumbnail

La Chine confrontée au trafic des “visages volés” de l’intelligence artificielle

Chantage à la fausse sextape, manipulations bancaires… En Chine, le développement de l’intelligence artificielle (IA) fait passer l’escroquerie en ligne à un niveau inédit. Dans une société où tout est enregistré, des caméras de surveillance à la reconnaissance faciale sur smartphone, les données relatives aux visages ou à la voix des individus se monnaient à vil prix sur Internet. Les victimes en “perdent la face” – littéralement.

Xinjing Bao par Wang Chang Traduit du chinois Publié aujourd’hui à 05h00 Lecture 9 min.

L’appel vidéo n’a duré que sept secondes. Assez, cependant, pour que Fang Yangyu soit persuadé que ce visage et cette voix étaient bien ceux d’un de ses proches. Et pour qu’il vire 300 000 yuans [près de 39 000 euros] sur un compte bancaire.

“En fait, tout était faux !” tranche le commissaire Zhang Zhenhua, du bureau de la sécurité publique de Shanghe [un district de la province du Shandong, dans l’est de la Chine]. “C’était une escroquerie par IA, comme on en voit beaucoup ces derniers temps.”

L’affaire s’est produite le 29 mai dernier : Fang Yangyu, qui réside à Jinan [la capitale du Shandong], regarde de courtes vidéos chez lui, quand il reçoit un message d’un inconnu qui se présente comme un membre de sa famille, et qui lui envoie son identifiant QQ [“Kioukiou”, du nom d’un des principaux réseaux de messagerie en Chine]. À peine Fang Yangyu a-t-il ajouté le contact qu’il reçoit un appel vidéo de celui qui a tout l’air d’être un de ses “cousins”.

Sous prétexte de la mauvaise qualité du réseau, son interlocuteur raccroche au bout de quelques phrases échangées. Leur conversation se poursuit dans le chat : le “cousin” explique qu’il doit de toute urgence transférer une somme d’argent, mais qu’il n’arrive pas à le faire directement. Il voudrait donc d’abord virer les fonds sur le compte de Fang Yangyu pour que celui-ci les transfère ensuite sur une carte bancaire donnée.

À l’autre bout de la Chine

Il lui envoie deux captures d’écran attestant du bon virement des sommes sur le compte de Fang Yangyu, qui s’étonne tout de même de n’avoir pas reçu de notification de sa banque. “Ça devrait arriver dans les vingt-quatre heures. De toute façon, les justificatifs bancaires font foi”, lui assure son “cousin”, qui fait doucement monter la pression. Face à ses demandes répétées, Fang finit par virer les 300 000 yuans sur le compte indiqué.

Peu après, son interlocuteur lui demande de transférer 350 000 yuans de plus. Fang Yangyu se méfie, se souvenant d’un message de sensibilisation aux arnaques ; il téléphone à un autre membre de sa famille [pour vérifier l’identité de ce “cousin”] et finit par découvrir le pot aux roses.

Le soir même, il prévient la police, qui constate que sa carte bancaire a été utilisée dans une bijouterie de la province du Guangdong [à l’autre bout de la Chine, dans le sud-est]. Le lendemain, la police locale interpelle six suspects dans la ville de Dongguan.

Elle découvre que le cerveau de cette escroquerie par IA se trouve dans le nord de la Birmanie. Les six individus arrêtés en Chine, eux, s’étaient organisés pour blanchir de l’argent au profit d’escrocs situés à l’étranger en se répartissant les tâches (achats d’or, versement de liquide à la banque, prises de contact en ligne, etc.).

La fuite de données, à la base du problème

Ces affaires d’escroqueries par IA interposée touchent tout le territoire chinois. Wang Jie, chercheur associé en droit à l’Académie des sciences sociales de Pékin, raconte avoir entendu parler pour la première fois de ce genre d’arnaque en 2019, lorsqu’un étudiant étranger avait cru échanger avec ses parents en visio alors que c’était un hypertrucage (aussi connu sous le nom anglais de deepfake) réalisé par des malfaiteurs. Avant cela, des affaires similaires de substitution de visages par IA à des fins frauduleuses avaient été traitées par les polices de Harbin (nord-est de la Chine) et de Fuzhou (sud-est) .

“Derrière les arnaques par intelligence artificielle, il y a toujours un problème de fuite de données”, souligne Wang Jie. Car, à l’ère de l’IA, la voix et le visage humains sont devenus des données qui peuvent se marchander et devenir source de profits.

De fait, nombreux sont ceux qui “perdent la face” sans s’en apercevoir. Il suffit pour cela de quelques secondes, comme en a fait l’amère expérience Pan Ziping, un habitant de la province de l’Anhui, dans l’est de la Chine.

Le 24 mars au soir, plongé dans la lecture d’un roman de fantasy sur son téléphone portable, il clique par inadvertance sur une publicité en voulant faire défiler le texte. L’action déclenche le téléchargement d’un jeu. Par curiosité, Pan Ziping essaie d’y jouer, puis désinstalle le programme, qu’il juge inintéressant.

Dix secondes fatales

Dans la foulée, il reçoit un appel téléphonique de l’étranger. Son interlocuteur affirme avoir accès à toutes les informations contenues dans son smartphone, en particulier sa galerie de photos et son répertoire. Il lui propose d’en parler sur QQ. Sans trop réfléchir, Pan Ziping l’ajoute donc à ses contacts. Dans la foulée, il reçoit un appel en visio. L’homme, qui n’a pas branché sa caméra, lui cite alors plusieurs noms de personnes figurant dans son carnet d’adresses, puis met fin à l’appel vidéo.

Quelques minutes plus tard, Pan Ziping reçoit par QQ une vidéo pornographique d’une dizaine de secondes : on y voit un homme nu en pleine action ; mais le visage de cet homme, c’est le sien. Pan Ziping est abasourdi : “C’est donc ça, la technologie d’aujourd’hui !” Alors qu’il est toujours interloqué, il reçoit un nouveau coup de téléphone, menaçant :

“Si tu ne me verses pas 38 000 yuans [près de 5 000 euros], j’envoie ta ‘petite vidéo’ à tout ton répertoire !”

À l’appui, l’homme joint une copie d’écran montrant que la vidéo est bien prête à partir ; un simple clic, et tous les amis, tous les contacts de Pan Ziping la reçoivent…

Pan Ziping partage alors son écran pour montrer à son interlocuteur qu’il n’a pas assez d’argent sur ses comptes Alipay et WeChat [nécessaires aux transferts d’argent]. L’homme diminue alors son prix, n’exigeant plus que 28 000 yuans, puis 18 000 et finalement 8 000 yuans [un peu plus de 1 000 euros]. Mais Pan Ziping est formel, c’est au-dessus de ses moyens. Son interlocuteur le pousse donc à emprunter les sommes nécessaires sur des plateformes de prêt en ligne.

Un jeu d’enfant

Pan hésite, prépare le transfert… Puis il finit par quitter l’appel et téléphone au 110 [le numéro d’urgence de la police]. Mais au bout du fil, l’agent refuse de recevoir sa plainte, au motif qu’il n’y a pas de préjudice avéré. Pan Ziping demande ce qu’il doit faire pour régler cette histoire de vidéo porno truquée par IA. On lui répond que la police n’a pas les moyens de la détruire. Et que la seule solution, pour lui, c’est d’envoyer un message collectif expliquant cette affaire à tout son carnet d’adresses.

Au fil de ses recherches, le chercheur Wang Jie a documenté de nombreux cas de pertes de données personnelles par des individus qui, après avoir consulté des sites web douteux, ont été victimes d’arnaques. Il estime que, avec les techniques actuelles, “capturer des données faciales est devenu un jeu d’enfant”. Elles sont collectées à notre insu par les caméras de surveillance omniprésentes, par les systèmes de détection faciale de nos smartphones ou encore par les applications qui demandent l’accès à nos galeries de photos.

En 2021, à Hefei [la capitale de l’Anhui], la police a débusqué un groupe de malfaiteurs qui se servaient de techniques d’intelligence artificielle pour trafiquer les visages de personnes sur des FMV [pour full motion videos, des scènes reconstituées à partir de fichiers vidéo préenregistrés]. Sur les ordinateurs des suspects, on a découvert une dizaine de gigaoctets de données faciales, qui ont changé de mains à de nombreuses reprises sur Internet – à l’insu, bien sûr, des personnes concernées.

Règlements inapplicables

Entre autres paliers franchis par les technologies de l’intelligence artificielle, les outils d’échange de visages par IA (aussi connus sous le nom face swap) sont désormais à la portée de tous.

Dès 2019, une application de ce genre appelée ZAO faisait fureur [en Chine], avant d’être retirée pour violation des droits d’auteur et atteinte à la vie privée, entre autres. Ses utilisateurs n’avaient qu’à fournir une photo de leur visage pour se retrouver, dans des vidéos, à la place de leur personnage de film ou de série préféré.

Spécialiste de droit pénal, Liu Xianquan met en garde contre les graves dangers qui peuvent résulter du détournement le plus anodin :

“En fait, ce n’est pas tant la technologie d’échange de visages par IA qui pose problème que la façon dont elle est utilisée.”

La Chine a mis en place, le 10 janvier dernier, un règlement limitant les services d’hypertrucage proposés sur Internet en Chine. Il stipule que les fournisseurs de ces services de deepfake ont pour obligation d’ajouter une fonction permettant d’identifier clairement le contenu comme étant issu d’un trucage numérique.

Par ailleurs, lorsqu’ils proposent des montages à partir de données biométriques comme la voix ou le visage d’un individu, ils sont tenus de prévenir leurs clients de l’obligation d’obtenir le consentement de cet individu. Problème : les techniques d’échange de visages par IA se monnayent bien souvent en catimini sur Internet, ce qui rend l’application de ce règlement particulièrement difficile.

Recréer les parties invisibles

On trouve des services en ligne proposant de changer les visages sur des photos pour 35, 50 ou 100 yuans [de 4,5 à 13 euros]. Pour les échanges de visages sur des vidéos, la tarification est à la minute, de 70 à 400 yuans [de 9 à 50 euros].

“Il est possible de changer n’importe quel visage”, indique l’un de ces marchands, qui se fait appeler “Zhang l’ingénieur”. Si un client lui fournit la photo ou la vidéo d’un visage, il est capable de l’intervertir avec celui d’une vedette, par exemple, mais aussi de “ressusciter” en vidéo des personnes mortes.

Zhang l’ingénieur ne propose pas seulement des prestations clé en main, mais aussi d’enseigner les techniques d’échange de visages. “Chez nous, on peut acheter un tutoriel et apprendre à tout faire soi-même”, indique-t-il. Il a lui-même développé un algorithme, qu’il vend 368 yuans sous forme d’extension sur la plateforme [de commerce en ligne] Taobao pour une utilisation illimitée pendant… cinquante ans !

Pour un rendu plus naturel, certains de ces marchands conseillent de fournir une photo de départ prise sous le même angle que celle de destination. Mais un autre vendeur affirme parvenir à un résultat criant de vérité avec juste une photo de face :

“Grâce au processus de ‘machine learning automatisé’, on peut reconstituer un visage dans ses moindres détails – y compris les parties invisibles.”

Le patron du studio de design vidéo Jielun, une boutique en ligne sur la plateforme WeChat, se présente comme un expert dans l’échange de visages par IA. Il montre avec fierté une vidéo de dix-neuf secondes qu’il a diffusée en mai dernier auprès de son cercle d’amis. Une femme vêtue d’un bustier, d’une minijupe et de bas noirs, s’y déhanche face à la caméra. Son visage ressemble en tout point à celui de la star [du cinéma et de la chanson] Yang Mi ; seul un léger décalage est décelable lorsqu’elle regarde vers le bas ou se tourne sur le côté.

Vingt euros la vidéo porno

Au studio Jielun, il faut compter 70 yuans la minute pour faire réaliser des vidéos ordinaires et 150 yuans [20 euros] pour des vidéos obscènes. Notre enquête confirme qu’il faut à peine deux heures de travail pour créer sur mesure une minute de vidéo porno truquée avec échange de visages.

Au cours de nos échanges, le patron du studio a demandé à plusieurs reprises à retirer des informations qu’il considérait comme “sensibles”. En revanche, il n’a jamais indiqué vouloir informer les “individus édités” de l’utilisation de leurs données faciales. Et, sur la vidéo truquée, il n’est nulle part fait mention d’un échange de visages par IA.

Mais le “commerçant” se retranche derrière ce qu’il appelle la “clause exonératoire de responsabilité” jointe à la vidéo. Elle stipule que “toute diffusion de matériel graphique ou vidéo est interdite, et le producteur n’en assume aucune conséquence. La vidéo est réalisée à des fins de divertissement uniquement, et nous ne pourrons en aucun cas être tenus responsables de l’utilisation des images et des vidéos, ni de tout autre dommage.”

Au Studio Jielun, on trouve également des applications ou des logiciels gratuits d’échange de visages par IA. Une rapide recherche sur TikTok suffit à découvrir de nombreuses offres publicitaires assorties de liens de téléchargement.

Le droit des victimes oublié

Ensuite, il suffit d’un clic : un clip publicitaire de vingt-cinq secondes se lance, après quoi, on peut utiliser gratuitement l’appli pour réaliser une vidéo truquée d’une dizaine de secondes, à partir de toute une série de courtes vidéos matricielles de célébrités ou de gens ordinaires, toutes disponibles sur la page d’accueil.

“C’est comme quand quelqu’un achète un couteau et commet un meurtre avec. Aurait-on l’idée d’en rejeter la faute sur le couteau ou sur celui qui l’a vendu ?”

Pour Gan Shirong, du cabinet d’avocats Huacheng de Pékin, ce n’est pas la technologie qui pose problème, mais l’utilisateur qui commet un acte illégal avec. Le juriste insiste, du reste, sur le fait que la vente “non encadrée” de ce genre de technologie augmente naturellement le risque de violation de la loi et rend son contrôle plus difficile.

Surtout, il est encore très compliqué de défendre les droits des victimes d’une violation d’identité par IA interposée. Comme le fait observer Liu Xianquan, d’un point de vue juridique, aucune réglementation pertinente n’existe actuellement sur l’utilisation et le développement des technologies d’intelligence artificielle.

Quant à Pan Ziping, il n’a finalement pas pu porter plainte après le vol de son visage et son utilisation dans une vidéo pornographique. L’affaire n’a pas eu de conséquence financière pour lui [puisqu’il a refusé le chantage], mais il n’a pu ni retrouver l’auteur du vol de son visage, ni empêcher la diffusion de la vidéo. Son seul recours a été d’envoyer un message collectif à tous les contacts de son répertoire pour leur demander de ne pas relayer la vidéo. Et, malgré les images, de ne pas croire à son contenu.