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Bercy veut vos relevés bancaires en temps réel
Du Ficoba au Flics aux basques
Par Pierre Januel Le vendredi 23 septembre 2022 à 10:03
Lors de la refonte du fichier des comptes bancaires (Ficoba), Bercy a voulu le transformer en fichier des opérations bancaires, qui lui aurait permis d’accéder en temps réel à nos relevés de compte. Un projet finalement bloqué par la Dinum, faute de base légale.
Dans la grande famille des fichiers, Ficoba est l’un des plus anciens. Ce FIchier des COmptes Bancaires et Assimilés liste, depuis 1971, tous les comptes ouverts en France : comptes courants, comptes d'épargne, comptes-titres… Il contient environ 800 millions de références de comptes dont 300 millions d’actifs. Les informations sont conservées durant toute la durée de vie du compte et pendant 10 ans après sa clôture.
Ficoba est un mastodonte que doivent nourrir toutes banques et qui est régulièrement consulté par de nombreux organismes : sécurité sociale, fisc, douane, enquêteurs judiciaires, notaires en charge d’une succession, banques, huissiers, TRACFIN. Au total, il y a eu pas moins de 41 millions de consultations en 2020. Le fichier est obsolète. Ainsi dans un récent référé, la Cour des comptes regrettait que le Ficoba, à cause de son obsolescence technique, ne soit pas assez utilisé par les organismes sociaux pour lutter contre la fraude à l’identité.
Le Ficoba ne contient que des informations sur les titulaires et bénéficiaires des comptes : rien sur les opérations effectuées sur les comptes ou sur le solde. Si le fisc ou la police veut en savoir plus, ils doivent passer par des réquisitions spéciales aux banques. C’est apparemment trop limité et trop compliqué pour Bercy.
Bercy voulait intégrer les opérations bancaires au Ficoba
Une refonte de Ficoba, intitulée Ficoba 3, est actuellement en chantier depuis 2020. L’objectif : mettre à jour technologiquement l’outil qui commence à dater, améliorer l’ergonomie et inscrire de nouveaux produits financiers (comme les coffres-forts) et de nouvelles données (noms des bénéficiaires effectifs et des mandataires) comme le prévoient des directives européennes. Un projet évalué à 17,4 millions d’euros, financé par le FTAP 2 à hauteur de 7,8 millions d’euros et qui devrait s’étaler jusqu’à 2024.
Mais un courrier adressé en septembre 2021 par Bercy à la Direction du numérique, qui est chargée de rendre un avis sur les grands projets informatiques, nous permet d’en savoir plus. Le ministère de l’Économie et des Finances y indiquait qu’il y avait d’autres buts à la refonte du Ficoba : « Les objectifs du projet Ficoba 3 sont également de préparer, de par son architecture, les étapes suivantes : a) intégrer les opérations effectuées sur les comptes bancaires ; b) évoluer et devenir le référentiel des comptes bancaires de la DGFiP. »
Le directeur interministériel du numérique, Nadi Bou Hanna, va bloquer sur ce point. Transformer un fichier des comptes bancaires en relevé de toutes les opérations bancaires serait une modification massive du Ficoba. Cela reviendrait à donner ces informations en temps réel au fisc, aux services de renseignement et à un tout un tas d’organismes. De quoi nourrir le data mining de Bercy, de plus en plus mis en avant dans la lutte contre la fraude fiscale.
La Dinum note que concernant les nouvelles exigences européennes, « les principales mesures attendues (intégration des coffres-forts, des bénéficiaires effectifs et des mandataires par exemple) ont d’ores et déjà été embarquées dans les évolutions en cours de Ficoba 2. »
Surtout l’intégration des soldes de comptes bancaires et à terme les opérations effectuées sur ces comptes bancaires serait « une évolution fonctionnelle très significative de Ficoba, passant d’une gestion des données de référence statiques à une gestion des données dynamiques très sensibles ».
Mais « les cas d’usage de ces soldes et de ces opérations ne sont pas détaillés et leur conformité avec le cadre juridique actuel ne me paraissent pas suffisamment solides ». La DINUM n’a notamment pas trouvé trace « de débats parlementaires permettant d’autoriser ces évolutions substantielles ». Afin de sécuriser le projet, il conviendrait que Bercy s’assure « de leur conformité auprès des instances compétentes, en premier lieu la CNIL, avant de débuter les travaux de réalisation ».
Les éléments fournis par Bercy ne permettent pas à la Dinum de conclure à la « conformité juridique indispensable du périmètre fonctionnel additionnel de constitution d’un référentiel porté par la DGFIP des soldes et des mouvements des comptes bancaires des entreprises et des particuliers ». En conséquence, son avis conforme est défavorable pour cette partie du projet.
Pour le reste, l’avis de la Dinum à Ficoba 3 est favorable, moyennant d’autres demandes, comme celle de permettre le partage des RIB avec plusieurs administrations via FranceConnect, le renforcement de l’approche « données » du projet, le resserrement du pilotage du projet et le fait de mener une réflexion en faveur de la cloudification du Ficoba (qui devrait rester hébergé à la DGFIP).
Bercy, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, semble pour l’instant avoir abandonné son projet fou. La dernière version de son cahier des charges ne mentionne plus le fait que le Ficoba 3 intégrera les soldes et les opérations bancaires.
Une présentation faite à l’association des marchés financiers en mars 2022 évoque uniquement « un cadre légal évolutif permettant de stocker de nouvelles données », mais rien de précis concernant l’inclusion des soldes et des opérations. En bref, il faudra changer la loi avant de changer le Ficoba.
Article publié dans la revue NextInpact par Pierre Januel