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July 4, 2023

Prompt Armageddon : le troisième récit. – affordance.info
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Prompt Armageddon : le troisième récit.

Olivier Ertzscheid 20 juin 2023

En 2010 The Economist faisait sa Une autour du concept de “Data Deluge”. Jamais en 13 ans le déluge ne cessa. Il irrigua chaque pan de nos vies, se déclina dans une ininterrompue litanie d’applications et de métriques, alimenta l’ensemble des politiques publiques, constitua la part émergée de certaines au travers de l’Open Data, fit le lit de tous les cauchemars de surveillance, constitua l’unique et inique horizon de tant de rêves de maîtrise et d’anticipation.

Tout fut “Data” : Data-journalisme, Data-visualisation, Data-gouvernance … Tant de données qui ne sont qu’autant “d’obtenues” comme l’expliquait Bruno Latour, expliquant aussi pourquoi refusant de voir qu’elles n’étaient que cela, nous en avons été si peu capables d’en obtenir autre chose que quelques oracles pour d’improbables ou opportuns cénacles.

Tant de données mais si peu de possibilités de les manipuler au sens étymologique du terme. Il leur manquait en vrai une interface à façon. Cette interface que ChatGPT a révélé en grand et en public, et donc au “grand public”. La plus simple parce que paradoxalement la plus insondablement complexe en termes de combinatoire pour elle qui n’est qu’une prédictibilité statistique. Rivés à l’affichage écran des scripts que renvoie ChatGPT comme devant un bandit manchot de casino, nous nourrissons la croyance probabiliste que quelque chose de vrai, de réfléchi ou de sincère puisse s’exprimer. Et nous voyons la langue s’agencer devant nous. Le plus souvent pour ne rien dire, mais en le disant bien. Le plus souvent pour ne faire que réécrire ce qui est lu ailleurs en le réagençant à peine, mais en l’agençant bien et sans jamais nous citer ces ailleurs où la combinatoire s’abreuve.

L’interface de la langue, du prompt, du script existait déjà dans les moteurs de recherche au travers des requêtes, y compris vocales. Mais elle ne construisait pas un écho de dialogue. Elle était un puits plutôt qu’un miroir. Et surtout, elle ne le faisait pas sous nos yeux. Nous étions comme en voiture appuyant sur l’accélérateur et constatant l’augmentation de vitesse ; avec ChatGPT (et consorts) nous sommes au coeur du moteur, nous observons l’accélération en même temps que nous la ressentons et gardons l’impression d’un sentiment de commande et de contrôle.

L’apparence d’un miracle ludique et païen, voilà ce que sont ces interfaces langagières et ces artefacts génératifs. Qui se conjuguant demain aux autres interfaces thaumaturges qui mobilisent et équipent à la fois nos regards et nos gestes en plus de notre langue, nous donneront une puissance dont l’illusion n’aura jamais été aussi forte et claire, et l’emprise sur le monde aussi faible et déréalisante.

Data Storytelling et Prompt Clash.

A l’image de ce qui se produisit dans la sphère politique depuis le tout début des années 2010 – Barack Obama est élu pour la 1ère fois en 2008 -, avec le passage d’une ère du storytelling (basé entre autres sur de l’analyse de données) à une ère du clash (reposant sur une maîtrise rhétorique des discours médiatiques), c’est désormais l’ensemble de l’écosystème des discours médiatiques mais aussi d’une partie de plus en plus significative de nos interactions sociales avec l’information qui nous mène d’une société de la “data” à une société du “prompt” et du “script”. Une ère post-moderne puisqu’au commencement était la ligne de commande et que désormais nous commandons en ligne, des pizzas comme des dialogues et des interactions sociales.

Le Data-Deluge était à la fois un concept écran et un concept mobilisateur. Qui nous installait dans une posture de négociation impossible : puisque les données étaient partout, en tout cas supposément, alors il fallait accepter qu’elles gouvernent nos vies et la décision politique dans l’ensemble de ses servitudes économiques.

Après moi le déluge. Et après le déluge ?

Résumons : avant les “Data” il y avait le “moi”, qui préparait leur avènement. Un web dont le centre de gravité ne fut plus celui des documents mais des profils, dans lequel l’être humain était un document comme les autres, un web “social par défaut”, où l’egotrip devînt une puissance bien avant que le capitalisme charismatique des influenceurs et influenceuses ne devienne une catharsis de batteleurs publicitaires. Le moi puis la Data. Après moi le déluge.

Puis après le data-deluge, vînt l’infocalypse. L’apocalypse du faux. Infocalypse Now.

Et désormais partout des “prompts” et des “scripts” (pour ChatGPT ou pour d’autres) qui nourrissent les machines autant qu’ils épuisent le langage. Que nous disent ces passages de saturation médiatique et informationnelle des discours autour de la “Data”, puis de “l’infocalypse” puis du “prompt” mais aussi des divers “Métavers” ?

Prompt Armaggedon.

Dans mon article précédent au sujet du casque “Apple Vision Pro” j’expliquais que par-delà les avancées technologiques il s’agissait avant tout de fournir une fonction support à un monde devenu littéralement insupportable.

Grégory Chatonsky formule l’hypothèse selon laquelle “L’IA a permis à la Silicon Valley de se relancer politiquement. Dans un contexte d’extinction planétaire, les technologies apparaissaient de plus en plus problématiques. Il lui a suffit de métaboliser l’extinction dans l’IA elle-même, en prétendant que cette technologie constituait le plus grande danger, pour continuer coûte que coûte sa production idéologique.”

Les technologies liées ou associées à diverses formes “d’intelligence artificielle” nous promettent un méta-contrôle de mondes qui ne sont ni le monde, ni notre monde. Elles poussent le curseur jusqu’à l’acceptation de l’idée que ce méta-contrôle nous dispense de notre puissance d’agir sur le réel sans entraîner de culpabilité mortifère puisqu’il s’agirait de s’inscrire dans une sorte d’élan vital technologique (bisous #Vivatech)).

On a souvent expliqué que deux grands récits technologiques s’affrontaient : celui d’une émancipation par la technique d’une part (le solutionnisme technologique), et celui d’un Armaggedon de robots ou d’IA tueuses d’autre part (en gros hein). Et que ces récits étaient exclusifs l’un de l’autre. Il est d’ailleurs intéressant de voir dans ce cadre l’émergence programmatique de figures troubles comme celle d’Elon Musk, qui sont des go-between capables d’affirmer tout à la fois que l’IA est la plus grande menace pour l’humanité et d’en faire le coeur du développement technologique de ses diverses sociétés et produits.

Il semble aujourd’hui que ces récits non seulement s’entrecroisent mais qu’ils sont plus fondamentalement et politiquement au service d’un troisième récit. Ce troisième récit est celui d’un retrait du monde. Pour le dire trivialement, puisqu’il est une hypothèse que la technique nous sauve, puisqu’une autre veut qu’elle nous condamne, et puisqu’il semble qu’il n’y ait à l’avance aucun scénario fiable d’équilibre dans les décisions à prendre, alors chaque développement technologique indépendamment de sa nature de “pharmakon” (il est à la fois remède et poison) comporte, affiche, vend et décline en lui la possibilité d’un retrait du monde qui travaille son acceptabilité au travers de promesses de puissance singulières. Le Métavers, les casques de réalité virtuelle ou augmentée, mais aussi ces LLM (Large Language Models) sont autant de ces promesses de puissances singulières. Or plus les Big Tech nous fournissent des environnements et des interfaces thaumaturges, et plus ils travaillent à nous installer dans une forme de déprise. Plus nous “commandons” de choses et de réalités alternatives, virtuelles ou mixtes, plus ces commandes passent par chacun de nos sens (toucher, vue, voix), plus les recherches avancent pour faire encore reculer cette dernière interface possible que constitue notre cerveau ou les ondes cérébrales, et moins nous sommes en prise sur le réel.

Le premier grand récit des technologies numériques consiste à prôner un solutionnisme suprémaciste, qui écrase tout horizon de contestation ou de débat soit au motif d’une vision fantasmée d’un “progrès” oublieux de ses externalités négatives, soit (le plus souvent) pour des raisons purement économiques de maintien d’effets de rente qui relèguent toute considération éthique à la dimension d’un essai clinique piloté par Didier Raoult.

Le second grand récit des technologies numériques est un renouvellement du Luddisme mâtiné de récits d’un effondrement dans lequel chaque pan de technologie n’aurait, là aussi de manière essentiellement caricaturale, que vocation à se retourner contre tout ou partie de l’humanité ou, de manière plus vraisemblable, la condamnerait à surexploiter le même cycle qui conduit déjà au dépassement des limites planétaires.

Le troisième grand récit des technologies numériques est un méta-récit. Une sorte de théorie des cordes (version Wish), dans laquelle le rapport de puissance s’inverse. Après un temps où les technologies numériques devaient permettre d’alléger notre cadre et nos tâches cognitives en s’y substituant (externalités mémorielles) ; après un temps où beaucoup d’entre nous parmi les plus pauvres, les plus fragiles, les moins qualifiés finirent par devenir les supplétifs à bas coût de technologies initialement présentées comme capables de les émanciper et qui ne firent que les aliéner (en gros le Digital Labor) ; nous voilà désormais dans un système capitalistique à l’équilibre mortifère où l’invisibilisation des processus extractifs, tant sur le plan des données que sur celui des sujets, est à son apogée. Il s’agit pour lui maintenant de décliner son extractivisme à l’ensemble des réalités alternatives existantes et accessibles (augmentée, virtuelle, mixte) en nous mettant en situation de pouvoir épuiser jusqu’à la langue elle-même au travers de prompts qui tendent à fabriquer une inépuisable fatrasie de textes dont la seule vocation n’est plus que de nourrir les générateurs qui permettent d’en produire de nouveaux. Jusqu’à épuisement. Ces réalités, augmentées, virtuelles et mixtes, sont tout autant fossiles que les énergies du monde qui s’épuise. Peut-être le sont-elles même encore davantage.

One More Thing : Interfaces Humains Informations.

Les IHM, “interfaces homme-machine” constituent un champ de recherche à part entière, qui mobilise des notions venant aussi bien de l’ergonomie, du design, de l’informatique, ou de la psychologie. Il nous faut réfléchir à la constitution d’un champ de savoir autour de ce que l’on pourrait appeler les IHI, l’analyse des interfaces (sociales, techniques, cognitives) entre l’humain (multi-appareillé ou non) et l’Information (dans sa diffusion, ses relais et sa compréhension). Un champ dans lequel les “sciences de l’information et de la communication” ont toute leur place mais ne sont pas seules légitimes. Les nouvelles “humanités numériques” sont avant tout informationnelles et culturelles.

Constamment le numérique oblitère des espaces de négociation et de recours. Les lois les plus structurantes mises en oeuvre ne sont pas celles qui tendent à le réguler mais celles qui le légitiment comme instance de contrôle. Les déploiements les plus structurants qui sont portés par la puissance publique ne visent pas pas rapprocher et à faciliter mais à éloigner et à suspecter. Le numérique dans son agrégation mortifère autour d’intérêts privés et d’architectures techniques toxiques à échoué à devenir une diplomatie de l’intérêt commun.

Et si la diplomatie est une théorie des relations entre les États, alors il faut que le champ des IHI, des “interfaces humain information”, devienne une diplomatie qui soit une théorie des relations entre les états de l’information et de sa circulation dans le champ social comme dans celui de la perception individuelle.

Les adresses Telegram bloquées en France par erreur
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Les adresses Telegram bloquées en France par erreur

La police a reconnu une « erreur humaine » ayant mené au blocage, pendant plusieurs heures, des adresses menant à la messagerie Telegram. Un couac, alors que le gouvernement entend étendre la possibilité de bloquer les sites Web grâce à un nouveau projet de loi.

Par Martin Untersinger et Florian Reynaud Publié le 13 mai 2023 à 13h46, modifié le 13 mai 2023 à 20h05

C’est un sacré couac : alors que le gouvernement a présenté cette semaine un projet de loi prévoyant la possibilité de bloquer massivement des sites, les adresses « t.me » (qui appartiennent à la messagerie Telegram), ont été inaccessibles pendant plusieurs heures, samedi 13 mai au matin, depuis la plupart des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) français en raison d’une erreur de la police.

En milieu de journée, la situation semblait revenir à la normale. Le fonctionnement général de l’application, lui, n’a pas été affecté et il restait possible d’envoyer et de recevoir des messages normalement.

Les URL en « t.me » sont utilisées pour renvoyer vers un compte, une chaîne ou un contenu spécifique à l’intérieur d’une chaîne au sein de Telegram, réseau social utilisé par 700 millions de personnes dans le monde. Les saisir dans un navigateur Web sur ordinateur ou smartphone permet d’ouvrir le contenu Telegram concerné.

Selon les informations du Monde, c’est la police qui a transmis aux FAI français une demande de blocage. Cette dernière, par l’intermédiaire de sa cellule Pharos, peut, en effet, demander aux FAI de bloquer certains sites, notamment pédopornographiques, et de rediriger les internautes voulant s’y connecter vers une page d’information du ministère de l’intérieur.

Bourde

Sauf que le blocage demandé ici s’est appliqué à l’intégralité des adresses « t.me » et concernait donc l’ensemble des liens vers le réseau social Telegram, y compris tous ceux qui n’ont rien à voir avec des contenus pédopornographiques. Certains utilisateurs voulant utiliser une URL « t.me » samedi matin étaient ainsi dirigés vers la page du ministère censée s’afficher en cas de tentative d’accès à un contenu pédocriminel bloqué. D’autres voyaient leur requête ne jamais aboutir.

Sollicitée, la police confirme avoir voulu bloquer des sites pédopornographiques relayés dans des messages sur le réseau social Telegram. Après avoir enjoint l’hébergeur des sites de retirer les contenus, ce qu’il n’a pas fait entièrement, la police a, comme le prévoient les textes, voulu procéder au blocage. Mais une « erreur individuelle a conduit à une demande de blocage plus large que nécessaire », qui a touché Telegram, fait savoir au Monde un porte-parole de la police nationale. La police a ensuite contacté les FAI pour faire lever le blocage.

Une bourde qui fait tache, alors que le projet de loi pour sécuriser l’espace numérique, présenté cette semaine par le secrétaire d’Etat au numérique, Jean-Noël Barrot, contient justement plusieurs dispositions visant à étendre ce mécanisme.

Le gouvernement espère ainsi qu’il puisse s’appliquer aux sites pornographiques ne vérifiant pas suffisamment l’âge de leurs visiteurs, aux sites permettant de réaliser des arnaques et à ceux diffusant des médias soumis à des mesures d’interdiction d’émettre.

La police dispose depuis 2014 du pouvoir de bloquer des sites Web pour des faits de pédopornographie et d’apologie du terrorisme. Elle doit d’abord faire parvenir une demande de suppression du contenu à l’éditeur du site. S’il ne donne pas suite, la police peut alors ordonner le blocage aux FAI. En 2022, la police avait demandé le blocage de 381 sites à caractère pédopornographique.

Martin Untersinger et Florian Reynaud

GPT-4 is great at infuriating telemarketing scammers • The Register
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California man's business is frustrating telemarketing scammers with chatbots

Will you choose Salty Sally or Whitey Whitebeard? It doesn't matter; they're both intolerable

Richard Currie Mon 3 Jul 2023 16:23 UTC

Every week there seems to be another cynical implementation of AI that devalues the human experience so it is with a breath of fresh air that we report on a bedroom venture that uses GPT-4 technology to frustrate telemarketers.

"Fight back against annoying telemarketers and evil scammers!" the Jolly Roger Telephone Company rails on its website. "Our robots talk to telemarketers so humans don't have to!"

While no one can put a price on slamming the phone down on a call center worker, some among us might get a perverse joy out of listening to them squirm under the non sequiturs of AI. And it seems to be working for Jolly Roger, which has thousands of customers subscribed for $23.80 a year.

The company has a number of bots at its disposal all with unique voices and quirks that makes them utterly infuriating to speak to from the original Jolly Roger, based on the voice of Californian founder Roger Anderson, to distracted mother Salty Sally, who keeps wanting to talk about a talent show she won, to feisty senior citizen Whitey Whitebeard and more. Samples of toe-curling conversations are all over Jolly Roger's website.

"Oh jeez, hang on, there's a bee on me, hang on," Jolly Roger tells one scammer. "There's a bee on my arm. OK, you know what? You keep talking, I'm not gonna talk, though. You keep talking, say that part again, and I'm just gonna stay quiet because of the bee."

Sprinkle in gratuitous salvos of "Suuuure" and "Mhm" and "Sorry, I was having trouble concentrating because you're EXACTLY like somebody I went to high school with so, sorry, say that part again." Five minutes later you have a cold caller pulling their hair out and hanging up.

Customers provide the phone numbers they want to protect and the subscription activates immediately. Users login to the website where they can set up whichever bot or bots they want to employ. Then, when a telemarketer calls, the user is able to merge the call with a specified or random bot. The customer can then listen to the fruits of their labor in Jolly Roger's "Pirate Porthole."

YouTubers like Kitboga have made a name for themselves by infuriating and hacking computer-based scammers in real time while they try to swindle him over the telephone, but now regular folk can do similar without having to lift a finger.

At a time when AI grifters are trying to convince the gullible to flood the ebook market with ChatGPT-generated joke books, it is heartening to see something related that is both funny and actually effective.

Blog Stéphane Bortzmeyer: À propos du « blocage de Telegram en France »

À propos du « blocage de Telegram en France »

Première rédaction de cet article le 13 mai 2023

Ce matin, bien des gens signalent un « blocage de Telegram en France ». Qu'en est-il ? Ce service de communication est-il vraiment censuré ?

En effet, la censure ne fait aucun doute. Si on teste avec les sondes RIPE Atlas, on voit (t.me est le raccourcisseur d'URL de Telegram) :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A t.me
[149.154.167.99] : 98 occurrences 
[77.159.252.152] : 100 occurrences 
[0.0.0.0] : 2 occurrences 
Test #53643562 done at 2023-05-13T08:42:36Z

Un coup de whois nous montre que la première adresse IP, 149.154.167.99, est bien attribuée à Telegram (« Nikolai Durov, P.O. Box 146, Road Town, Tortola, British Virgin Islands ») mais que la seconde, 77.159.252.152, est chez SFR. Non seulement Telegram n'a pas de serveurs chez SFR, mais si on se connecte au site Web ayant cette adresse, on voit :

Cela ne marche pas en HTTPS (de toute façon, il y aurait eu un problème de certificat) car le serveur en question n'écoute apparemment qu'en HTTP classique.

Ce site Web est donc géré par le ministère de l'Intérieur, qui peut en effet enjoindre certains FAI de bloquer les sites pédopornographiques (depuis plusieurs années, rien de nouveau). Ici, il s'agit évidemment d'un mensonge grossier puisque Telegram n'est pas un site pédopornographique, mais un service de messagerie instantanée (qui, comme tout service de communication en ligne, peut parfois être utilisé pour des activités illégales).

La technique de censure est le résolveur DNS menteur : au lieu de relayer fidèlement les réponses des serveurs DNS faisant autorité, le résolveur ment et envoie l'adresse du serveur Web du ministère. Pourquoi est-ce que toutes les sondes RIPE Atlas ne voient pas le mensonge ? Parce que la liste des sites censurés est secrète, et que beaucoup de FAI, de réseaux locaux, de résolveurs DNS publics (comme celui de FDN mais attention, certains ont des défauts) ne reçoivent pas cette liste et ne censurent donc pas. Parmi ceux qui mettent en œuvre le blocage, il y a par exemple Orange (AS 3215) :

% blaeu-resolve  --requested 200 --as 3215 --type A t.me 
[149.154.167.99] : 35 occurrences 
[77.159.252.152] : 151 occurrences 
Test #53644573 done at 2023-05-13T09:04:06Z    

Même chez ce FAI, on notera que certaines sondes utilisent un résolveur non-menteur, par exemple un résolveur local. On trouve aussi le blocage chez des fournisseurs plus petits comme Adista :

% blaeu-resolve  --requested 200 --as 16347  --type A t.me
[149.154.167.99] : 3 occurrences 
[77.159.252.152] : 1 occurrences 
Test #53644745 done at 2023-05-13T09:08:42Z

Pourquoi ce blocage alors que, on l'a vu, Telegram n'est pas, contrairement à l'accusation diffamatoire du ministère, un service de distribution d'images pédopornographiques ? Notons d'abord que le domaine principal, vers lequel redirige https://t.me/ n'est pas touché :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A telegram.org
[149.154.167.99] : 197 occurrences 
[0.0.0.0] : 2 occurrences 
Test #53644470 done at 2023-05-13T09:02:00Z

Il s'agit d'une bavure, comme ça s'est déjà produit, et comme confirmé par « un porte-parole de la police nationale » cité par Le Monde. Gageons que le ministère ou les FAI ne communiqueront jamais et n'expliqueront rien.

Le service a été rétabli quelques heures après :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type A t.me
[149.154.167.99] : 199 occurrences 
[ERROR: SERVFAIL] : 1 occurrences 
Test #53674858 done at 2023-05-13T20:18:14Z

Un point important est la gestion des données personnelles. Le code de la page du site Web du ministère contient :

<script type="text/javascript">

    var tag = new ATInternet.Tracker.Tag();

tag.page.set({
        name:'pedo-pornographie',
        level2:'27'
    });
    tag.dispatch();

</script>

Ce petit programme en JavaScript enregistre donc les visites, auprès du service « ATInternet », en étiquetant tout visiteur, pourtant bien involontaire, comme pédo-pornographe. (Ceci, en plus de l'enregistrement habituel de l'adresse IP du visiteur dans le journal du serveur HTTP.)

Un petit point technique amusant pour finir : le serveur du ministère (celui hébergé chez SFR) n'a pas IPv6 (on est en 2023, pourtant) donc les résolveurs menteurs ne savent pas trop quoi renvoyer :

% blaeu-resolve --country FR --requested 200 --type AAAA t.me       
[2001:67c:4e8:f004::9] : 104 occurrences 
[::1] : 78 occurrences 
[] : 16 occurrences 
[::] : 1 occurrences 
[ERROR: SERVFAIL] : 1 occurrences 
Test #53646044 done at 2023-05-13T09:34:15Z 

(2001:67c:4e8:f004::9 est la vraie adresse IP de Telegram, ::1 est l'adresse de la machine locale.)

Articles dans les médias :    
Veesion, la start-up illégale qui surveille les supermarchés  – La Quadrature du Net
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Veesion, la start-up illégale qui surveille les supermarchés

Posted on4 juillet 2023

Nous en parlions déjà il y a deux ans : au-delà de la surveillance de nos rues, la surveillance biométrique se déploie aussi dans nos supermarchés pour tenter de détecter les vols en rayons des magasins. À la tête de ce business, la start-up française Veesion dont tout le monde, même le gouvernement, s’accorde sur l’illégalité du logiciel mais qui continue à récolter des fonds et des clients en profitant de la détresse sociale

La surveillance biométrique de l’espace public ne cesse de s’accroître. Dernier exemple en date : la loi sur les Jeux Olympiques de 2024 qui vient légaliser officiellement la surveillance algorithmique dans l’espace public pour certains événements sportifs, récréatifs et culturels (on en parlait ici). En parallèle, des start-up cherchent à se faire de l’argent sur la surveillance d’autres espaces, notamment les supermarchés. L’idée est la suivante : utiliser des algorithmiques de surveillance biométrique sur les caméras déjà déployées pour détecter des vols dans les grandes surfaces et alerter directement les agents de sécurité.

L’une des entreprises les plus en vue sur le sujet, c’est Veesion, une start-up française dont on parlait déjà il y a deux ans (ici) et qui vient de faire l’objet d’un article de Streetpress. L’article vient rappeler ce que LQDN dénonce depuis plusieurs années : le logiciel déjà déployé dans des centaines de magasins est illégal, non seulement selon l’avis de la CNIL, mais aussi, selon nos informations, pour le gouvernement.

Le business illégal de la détresse sociale

Nous avions déjà souligné plusieurs aspects hautement problématiques de l’entreprise. En premier lieu, un billet publié par son créateur, soulignant que la crise économique créée par la pandémie allait provoquer une augmentation des vols, ce qui rendait nécessaire pour les magasins de s’équiper de son logiciel. Ce billet avait été retiré aussitôt notre premier article publié.

D’autres déclarations de Veesion continuent pourtant de soutenir cette idée. Ici, c’est pour rappeler que l’inflation des prix, en particulier sur les prix des aliments, alimenteraient le vol à l’étalage, ce qui rend encore une fois nécessaire l’achat de son logiciel de surveillance. Un business s’affichant donc sans gêne comme fondé sur la détresse sociale.

Au-delà du discours marketing sordide, le dispositif est clairement illégal. Il s’agit bien ici de données biométriques, c’est-à-dire de données personnelles relatives notamment à des caractéristiques « physiques ou « comportementales » (au sens de l’article 4, par. 14 du RGPD) traitées pour « identifier une personne physique de manière unique » (ici, repérer une personne en train de voler à cause de gestes « suspects » afin de l’appréhender individuellement, et pour cela analyser le comportement de l’ensemble des client·es d’un magasin).

Un tel traitement est par principe interdit par l’article 9 du RGPD, et légal seulement de manière exceptionnelle et sous conditions strictes. Aucune de ces conditions n’est applicable au dispositif de Veesion.

La Quadrature du Net n’est d’ailleurs pas la seule à souligner l’illégalité du système. La CNIL le redit clairement (à sa façon) dans l’article de Streetpress quand elle souligne que les caméras de Veesion « devraient être encadrées par un texte » . Or ce texte n’existe pas. Elle avait exprimé le même malaise au Monde il y a quelques mois, quand son directeur technique reconnaissait que cette technologie était dans un « flou juridique » .

Veesion est d’ailleurs tout à fait au courant de cette illégalité. Cela ressort explicitement de sa réponse à une consultation de la CNIL obtenu par LQDN où Veesion s’alarme de l’interprétation du RGPD par la CNIL qui pourrait menacer « 500 emplois en France » .

Plus surprenant, le gouvernement a lui aussi reconnu l’illégalité du dispositif. Selon nos informations, dans le cadre d’une réunion avec des professionnels du secteur, une personne représentant le ministère de l’Intérieur a explicitement reconnu que la vidéosurveillance algorithmique dans les supermarchés était interdite.

La Technopolice rapporte toujours autant d’argent

Tout cela ne semble pas gêner l’entreprise. Sur leur site , ils annoncent équiper plus de 2500 commerçants, dans 25 pays. Et selon les informations de Streetpress, les clients en France sont notamment Leclerc, Carrefour, G20, Système U, Biocoop, Kiabi ou encore la Fnac. Des enseignes régulièrement fréquentées donc par plusieurs milliers de personnes chaque jour.

Autre point : les financements affluent. En mars, la start-up a levé plus de 10 millions d’euros auprès de multiples fonds d’investissement. Sur le site Welcome to the Jungle, la start-up annonce plus de 100 salariés et plus de 5 millions de chiffre d’affaires.

La question que cela pose est la même que celle que nous rappelons sur ce type de sujets depuis 3 ans : que fait la CNIL ? Pourquoi n’a-t-elle pas fait la moindre communication explicite sur ce sujet ? Nous avions fait il y a deux ans une demande de documents administratifs à cette dernière, elle nous avait répondu qu’il s’agissait d’un dossier en cours d’analyse et qu’elle ne pouvait donc pas nous transmettre les documents demandés. Rien depuis.

Une telle inaction a des conséquences lourdes : outre la surveillance illégale imposée sur plusieurs milliers de personnes, la CNIL vient ici normaliser le non-respect du RGPD et faciliter la création d’une industrie de la Technopolice en laissant les investissements affluer.

Comment encore considérer la CNIL comme une autorité de « protection » de nos libertés quand la communication qui en émane sur ce sujet est qu’elle veut « fédérer et accompagner les acteurs innovants de l’écosystème IA en France et en Europe » ?

Surveillance illégale, détresse sociale, financement massif… Toutes les Technopolices se ressemblent, qu’elles soient en supermarché ou sur notre espace public. Mais pour une fois que tout le monde est d’accord sur l’illégalité d’une de ses représentantes, espérons que Veesion soit arrêtée au plus vite.