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June 29, 2023

Les cryptomonnaies par-delà le buzz | CNRS Le journal
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Les cryptomonnaies par-delà le buzz

28.06.2023, par Salomé Tissolong

Formidable invention ou danger public ? En bientôt quinze ans d’existence, les cryptoactifs ont montré qu’ils étaient une source d’opportunités mais aussi de risques, et posent des défis aux régulateurs. Des questions sur lesquelles se penche la recherche économique.

Le 3 janvier 2009, les premiers bitcoins sont émis. Si cet événement ne fait pas grand bruit à l’époque, il vient pourtant de marquer l’histoire. « Le Bitcoin1, c’est vraiment l'acte de naissance des cryptomonnaies ! », explique Julien Prat, économiste au Centre de recherche en économie et statistique2 (Crest) et responsable de la chaire académique Blockchain@X de l’École polytechnique. Sous le pseudonyme Satoshi Nakamoto, une personne anonyme – ou un groupe de personnes – vient de réaliser une innovation majeure. Une cryptomonnaie, aussi appelée cryptoactif, est un protocole informatique associé à une base de données partagée qui permet d’effectuer des paiements de pair à pair, c’est-à-dire de manière décentralisée, sans impliquer de banque. Une petite révolution !

Une cryptomonnaie est adossée à une blockchain, une chaine de blocs : des groupes d’informations sont liés entre eux de manière chronologique. C’est un registre public partagé et inviolable où sont enregistrées toutes les transactions effectuées entre participants. « C’est la première fois qu’on arrive à combiner la blockchain avec un mode de gestion décentralisé, poursuit Julien Prat. Ainsi, le droit d'écriture n'est contrôlé par personne. C'est démocratique. »

Un programme prévoit l’émission du nombre de bitcoins : toutes les 10 minutes, des ordinateurs (dits des « mineurs ») reçoivent des jetons, en récompense de la validation des transactions et de leur inscription dans la blockchain. « Ça a tout de suite donné de la crédibilité à cette monnaie, complète Julien Prat. Et une fois qu'on peut s'engager, on peut créer de la rareté, et donc de la valeur. » Il faudra finalement peu de temps au Bitcoin pour connaître un succès mondial. Les années passent, sa valeur s’envole et des milliers d’autres cryptomonnaies voient le jour. On compte parmi elles Ethereum, la deuxième plus importante, mais aussi, Ripple, Cardano ou Solana...

Verrous scientifiques et dangers

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Au-delà d’une révolution scientifique, ces nouveaux objets financiers sont porteurs de grands défis. Un premier enjeu est lié au fonctionnement même de certaines cryptomonnaies. Dans le cas du Bitcoin notamment, qui est de loin la cryptomonnaie la plus importante aujourd’hui3, la création de nouveaux jetons dépend d’un protocole extrêmement énergivore. Le droit de « miner » ou « valider » un nouveau bloc est en effet réservé au gagnant d’un concours qui, dans le cas du bitcoin, se fait sur la résolution d’un calcul brut. C’est la méthode de la preuve de travail (proof of work).

Pour réduire l’empreinte carbone de la blockchain, la solution serait de passer de la preuve de travail (proof of work) à la preuve d'enjeu (proof of stake) qui consomme bien moins d’électricité.

« Mais cela nécessite énormément d’électricité ! Et de plus en plus ! » s’exclame le spécialiste Bruno Biais, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Groupement de recherche et d'études en gestion à HEC4. La consommation électrique nécessaire au fonctionnement du réseau Bitcoin représenterait entre 62 TWh et 230 TWh d'électricité par an. « Pour réduire l’empreinte carbone de la blockchain, la solution serait alors de passer de la preuve de travail à la preuve d'enjeu, (proof of stake), qui consomme bien moins d’électricité », explique le chercheur. Dans ce cas, on ne se base plus sur la puissance de calcul, mais sur la capacité à mettre en jeu son capital. Mais cette transition est très complexe à réaliser pour un système décentralisé… Ethereum y est cependant parvenu en septembre 2022.

On pointe aussi du doigt la grande volatilité des cryptomonnaies et les risques de bulle spéculative. En effet, les cours des cryptomonnaies connaissent des variations très importantes. Les prix des actifs peuvent connaître une hausse extrême, puis chuter violemment quand la bulle éclate. En novembre 2021 par exemple, un jeton bitcoin valait près de 69 000 $, son record. Mais deux mois plus tard, il était retombé aux alentours de 30 000 $ ! Cela est dû à la nature même des cryptomonnaies qui ne sont adossées à aucun actif ni à l’économie d’un pays… Contrairement à l’euro ou au dollar par exemple, l’émission d’une cryptomonnaie n’est pas pilotée par une banque centrale. La valeur d’une cryptomonnaie repose donc uniquement sur la confiance qu’on lui accorde. « Tout est une question de croyance, déclare Bruno Biais. Si une monnaie classique a de la valeur, c’est aussi parce qu'on croit qu’elle a de la valeur. Donc quand les croyances changent, la valeur change. Dans le cas des monnaies officielles, c’est un peu moins fluctuant, car ces devises ont un cours légal et qu'on doit payer ses impôts avec. Donc vous voudrez toujours des euros ! »

Bruno Biais explique qu’à l’inverse, une cryptomonnaie n’est pas à l'abri qu’un jour, plus personne ne croie en sa valeur ni n’en veuille, et qu’un bitcoin vaille alors 0 $. « Et au contraire, cela pourrait un jour se stabiliser : on pourrait imaginer que cela devienne plus standard, rentre dans les mœurs, que les croyances fluctuent moins… », conclut-il, sans pouvoir prédire l’avenir. Quoi qu’il en soit, cette volatilité rend les placements très risqués pour des épargnants. « Ça va s’ils savent qu’ils prennent des risques, et qu’ils font ça pour s’amuser, comme quand on va au casino, jouer à la roulette… Mais sinon, ce n’est pas une bonne idée pour un petit épargnant d'acheter du bitcoin, en se disant qu’il prépare sa retraite ! »

L’émission d’une cryptomonnaie n’est pas pilotée par une banque centrale. Sa valeur repose donc uniquement sur la confiance qu’on lui accorde.

Les intermédiaires entre la blockchain et les utilisateurs peuvent aussi être sources de dangers. Si le principe des cryptomonnaies est celui de la décentralisation, tout un écosystème gravitant autour de ces objets financiers a en réalité émergé, et parfois pour le pire. Ces entreprises peuvent en effet entraîner leurs clients dans leur chute en cas de problème, voire en arnaquer certains… Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses faillites sur les bourses d’échange de cryptomonnaies, ce qui s’est répercuté sur les épargnants.

On peut citer, entre autres, la plateforme d’échange et d’achat de cryptomonnaies FTX qui, basée sur des montages financiers douteux, se déclare insolvable en novembre 2022. Elle met en difficulté nombre de ses clients, qui n’ont plus accès à l’argent qu’ils avaient entreposé sur leurs comptes. FTX serait aujourd’hui endettée auprès de plus de 100 000 créanciers et devrait plus de 8 milliards de dollars5. En janvier 2023, dans un contexte de crise de confiance, la plateforme de prêts en cryptomonnaies Genesis se déclare à son tour en faillite. Elle devrait plus de 3,5 milliards de dollars à ses créanciers6.

Puisqu’elles se trouvent hors des cadres légaux et permettent de conserver son anonymat, les cryptomonnaies peuvent enfin être utilisées pour des activités répréhensibles, telles que la fraude fiscale, le blanchiment d'argent ou encore le financement du terrorisme… Julien Prat le reconnaît : « Effectivement, vous vous retrouvez dans un système financier qui est pseudonyme et qui opère en dehors des règles et de la régulation standard. » Ce qui offre donc la possibilité d’opérer en marge du système et de s’adonner à activités criminelles et des arnaques via les cryptomonnaies, comme par exemple avec les rançongiciels. L’économiste nuance cependant le propos : « Mais dans la blockchain, tout est tracé. Donc si l’on sait que telle adresse appartient à un criminel, tout ce qu’il fait est visible et enregistré en ligne. Cet argent ne pourra plus jamais être dépensé, plus personne ne voudra l'accepter, il ne sera jamais transféré dans le système financier traditionnel ! »

Vers davantage de régulation

Face à ces risques et récents scandales, quelles réponses politiques et réglementaires les pouvoirs publics peuvent-ils mettre en place pour protéger les épargnants, les investisseurs mais aussi les banques ?

L’ Europe vient de franchir un pas historique avec le règlement MiCA qui obligera les émetteurs et les négociants de cryptomonnaies à faire preuve de transparence.

« Il me semble difficile de réguler ou d'interdire les activités purement décentralisées, répond Julien Prat. Par contre, il est possible de contrôler les ponts avec le secteur régulé, en particulier lors de la conversion en monnaie fiat (monnaie adossée à une banque centrale), ce qui est déjà le cas. Le meilleur moyen de renforcer la protection contre la fraude serait d'améliorer les outils de lecture et d'analyse des données sur chaîne, en développant des méthodologies adaptées basées sur l'intelligence artificielle. »

On remarque une avancée notable en Europe, qui vient de franchir un pas historique dans l’encadrement de tout le secteur des cryptomonnaies. Le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), approuvé par le Parlement européen le jeudi 20 avril 2023, obligera en effet les émetteurs et les négociants de cryptomonnaies à faire preuve de transparence. Les entreprises devront notamment recevoir le statut CASP (Crypto-Asset Service Providers) pour poursuivre leurs activités, et appliquer une politique « Know Your Customer », qui permet de vérifier l’identité des clients et de lutter contre la fraude et l’utilisation des cryptomonnaies à des fins répréhensibles. La crainte envers les cryptomonnaies et le besoin de régulation qui en découle dépendent cependant du contexte économique de la zone concernée…

Des alternatives intéressantes

Dans certains contextes, les cryptomonnaies peuvent constituer de belles opportunités : elles apparaissent comme de réelles alternatives dans des pays instables économiquement. « Quand la monnaie fonctionne plutôt bien, comme en Europe et aux États-Unis, pourquoi iriez-vous payer votre baguette en bitcoin ? Ça n’a aucun intérêt. C’est seulement pour faire des placements, rappelle Bruno Biais. Mais ça remplit un besoin dans d’autres circonstances : quand la monnaie devient dysfonctionnelle dans certains pays, il peut potentiellement servir d'alternative. »

En 2019 par exemple, quand le système bancaire s’effondre au Liban, il devient impossible de passer par les banques pour effectuer des paiements… Les cryptomonnaies deviennent alors très utiles, notamment pour des entrepreneurs ayant des activités économiques à l’international. L’usage des cryptomonnaies se répand de plus en plus dans les pays en voie de développement7 (Nigeria, Kenya, Vietnam, Inde, Pakistan…), mais on observe une application sans commune mesure au Salvador. Le bitcoin y a en effet été adopté comme monnaie légale en septembre 2021. Il n’a cependant pas connu le succès espéré au sein de la population, et n’est pas vraiment accessible aux plus âgés et aux plus défavorisés – il est nécessaire de posséder un smartphone et une connexion à Internet8. Plus encore, la grande volatilité du bitcoin pourrait faire courir de graves risques financiers à la population. « Si vous vivez dans un pays où les prix ne sont pas exprimés en bitcoin et que vous détenez des bitcoins, votre pouvoir d'achat va augmenter… ou baisser énormément », conclut Bruno Biais.

Au-delà des cryptomonnaies, l’impressionnante blockchain

« Se focaliser sur les cryptomonnaies pour parler de la blockchain, c'est un peu comme se focaliser sur les e-mails pour l'internet, plaisante Julien Prat. Il y a tellement plus de possibilités avec la blockchain ! La cryptomonnaie est la chose la plus simple à faire. » Elle ne représente en effet qu’une application possible de l’utilisation des chaînes de blocs, une technologie bien plus large, qui s’attaque à l’enjeu majeur du partage de données. « On est dans un monde dans lequel l'information est éclatée, morcelée entre les bases de données propriétaires, poursuit l’économiste. L’enjeu est d’arriver à partager des données importantes tout en protégeant la confidentialité. » Cela s’applique à une multitude de domaines : des données économiques, militaires, géostratégiques, de santé… Des nouvelles technologies utilisant les blockchains pourraient alors parvenir à allier partage données sensibles et confidentialité, notamment avec le système des « zero knowledge proof », des preuves à divulgation nulle de connaissance.

Selon le chercheur, une autre application possible est la digitalisation de la monnaie. Une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) serait une nouvelle forme de monnaie émise par la Banque centrale, sous un format dématérialisé. L’emploi d’une base de données partagée simplifierait grandement les échanges : des transactions qui se feraient par exemple en euro numérique circuleraient directement sur une blockchain et permettraient de se passer des intermédiaires bancaires. Serions-nous à l’aube d’une nouvelle révolution ? ♦

Notes

Influencer Caryn Marjorie is competing with her own AI to chat with fans - Los Angeles Times
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Thousands chatted with this AI ‘virtual girlfriend.’ Then things got even weirder

By Brian Contreras Staff Writer June 27, 2023 5:30 AM PT

Last month, Caryn Marjorie went from a successful but niche social media star to a person of national interest: the subject of attention-grabbing headlines and, for many commentators, a template upon which to project their anxieties about rapidly advancing artificial intelligence.

The cause of the furor was a partnership Marjorie, 23, had launched with a technology startup promising to make a personalized AI “clone” of the Scottsdale, Ariz.-based lifestyle influencer. For a dollar a minute, fans she might never have otherwise had the time to meet could instead chat with Marjorie’s digital double.

CarynAI, as the audio chatbot has been dubbed, is explicitly framed as a romantic companion — one that aims to “cure loneliness” with software that supposedly incorporates aspects of cognitive behavioral therapy into its conversations. Marjorie said her fans have used the program to ask for life advice and roleplay a sunset date to the beach.

Marjorie was at one point tracking her subscriber growth in tweets about how many new “boyfriends” she had. “They feel like they’re finally getting to know me, even though they’re fully aware that it’s an AI,” she told The Times.

i have over 20,000 boyfriends now 💗

— Caryn Marjorie (@cutiecaryn) May 20, 2023

This HAL 9000 version of pillow talk has, predictably, triggered a backlash. Critics branded CarynAI as alternately demeaning women, enabling antisocial straight-male behavior or signaling impending societal collapse. Coming amid a period of uncertainty about what AI means for jobs, relationships and cultural institutions, Marjorie’s move toward self-automation seemed to perfectly encapsulate an increasingly bizarre present.

“We’re talking about an AI system [where] theoretically the goal is to keep people on as long as possible so that you continue earning money,” said Amy Webb, chief executive of the consulting firm Future Today Institute. “Which means that it’s likely going to start incentivizing behavior that we probably would not want in the real world.”

Webb suggested as an example a bot that’s too obedient — listening passively, for instance, as a user describes disturbing fantasies. Marjorie has addressed similar dynamics before (“If you are rude to CarynAI, it will dump you,” she tweeted at one point), but when asked about Webb’s perspective she instead emphasized her own concerns about addiction.

“I have seen my fans spend thousands of dollars in a matter of days chatting with CarynAI,” Marjorie said; one fan, at the bot’s encouragement, built a shrine-like photo wall of her. “This is why we have limited CarynAI to only accepting 500 new users in per day.”

As AI comes to play a growing role in the economy, and especially creative industries, the questions prompted by CarynAI will only become more widespread.

But Marjorie isn’t placing all her chips on the technology just yet. Within weeks of announcing her AI clone, she launched a second partnership with a different tech company. This one too would let fans talk with her, but instead it would be Marjorie herself on the other side of the screen.

She struck a deal with Fanfix, a Beverly Hills-based platform that helps social media creators put their premium content behind a paywall, and started using its messaging tools to chat directly with customers.

The result is essentially a two-tier business model where lonely guys looking for a 3 a.m. chat session can talk with Marjorie’s machine mimic, while die-hard fans willing to shell out a bit more can pay for the genuine article.

That within the span of a few weeks Marjorie launched two different, seemingly contradictory business ventures — both aimed at turning fan conversations into money — speaks to a central question of an AI-obsessed moment: With robots increasingly entangled in creative industries, what work should be asked of them and what should be left to us?

Marjorie’s hybrid model offers a preview of one possible path forward.

Users pay a minimum of $5 to send her a message on Fanfix, said co-founder Harry Gestetner. That pricing difference — $5 for one human-to-human text versus $1 for a minute of the AI voice-chatting — signals an approach to automation in which workers use machine learning not as a wholesale replacement but as a lower-end alternative for more frugal customers. (Think of an artisanal farmers market cheese versus a machine-made Kraft Single.)

“Messaging directly with a fan on Fanfix will always be a premium experience,” Gestetner said. “It’s important to view AI as the co-pilot, not the pilot.”

(According to Fanfix, Marjorie is making $10,000 a day after soft-launching on the platform and is projected to hit $5 to $10 million in total earnings by the end of the year.)

John Meyer, founder of Forever Voices, the Austin software company that developed Marjorie’s AI simulacrum, is naturally a bit more bullish on the benefits of punting fan interactions to the computer. In some cases, Meyer said, the bots can be more eloquent than the influencers they’re meant to replicate.

“One of the first feelings it brings up is the idea of, like, ‘Wow, should I be threatened by my own AI copy?’” Meyer said.

He lost his father when he was in his early 20s, and started working on the Forever Voices technology late last year as a means of reconnecting. After developing a voice replica of his dad — which he describes as “very realistic and healing” — Meyer expanded into voice clones of various celebrities and, more recently, web personalities. (One of the biggest names in online livestreaming, Kaitlyn “Amouranth” Siragusa, just signed up.)

The company has been inundated with requests from thousands of other influencers asking for their own AI clones, according to Meyer. “We really see this as a way to allow fans of influencers to connect with their favorite person in a really deep way: learn about them, grow with them and have memorable experiences with them,” he said.

The high demand is in part because maintaining a substantial online following can involve a lot of work — not all of it particularly interesting.

“On a daily basis, I see anywhere from 100,000 to half a million messages on Snapchat,” Marjorie said, explaining the workload that led her to embrace CarynAI. (She has 2 million followers on the messaging app; according to a recent Washington Post article, 98% of them are men.)

She added: “I see AI as a tool, and it’s a tool that helps creators create better content.”

Some of her industry peers are skeptical, however, including Valeria Fridegotto, a TikToker with 20,000 followers.

Fridegotto hasn’t written off the technology completely, though. Software that could lessen the workload of fan interaction would be great, she said, but the examples she’s seen released so far don’t seem lifelike enough to run without supervision. There still are too many errors and non sequiturs — what AI experts call “hallucinations.”

“It has to be developed to the point where we are very confident that this technology is going to act as good as us, or better,” Fridegotto said.

As the market floods with imitators, some influencers may even discover renewed demand for “old-school” human-made content.

“People will start leaning more heavily into authentic, personality-driven content,” said Jesse Shemen, the chief executive of Papercup, a startup that uses AI to automatically dub videos. “In the same way how there’s this fascination and big following behind organic food … I think we’ll see the same thing when it comes to content.”

There is a place for automation on social media, Shemen added, especially for people churning out loads of content on a short timeline — news reaction videos, for instance. But, he predicted, there will be a limited market for digital clones such as Marjorie’s.

Still, a space as frothy as AI is hard to ignore. Even Fanfix, the company helping (the real) Marjorie talk to her super fans, is interested. The company’s founders say they’re actively looking at how AI could help influencers.

Although the influencer economy still needs actual humans, the limits of what AI can do are receding, and many web personalities are getting more and more interested in using the technology to automate at least some of their workload.

Such questions are not confined to social media. Artificial intelligence is being rolled out across creative industries, with media outlets such as Buzzfeed incorporating it into their publications and film studios leveraging it for postproduction work. AI-based screenwriting has emerged as a key concern in the ongoing Writers Guild of America strike.

But social media is uniquely personality-driven, making the sector’s relationship with AI particularly fraught. The value of web personalities depends on their ability to win trust and affinity from their followers. That connection can be so powerful that some experts refer to it as a “parasocial relationship” — a strong but ultimately one-sided devotion to a public figure.

It’s a tricky dynamic to navigate, and one Marjorie finds herself in the midst of.

“In the world of AI, authenticity is more important than ever,” the influencer tweeted last month. “My tweets, [direct messages], direct replies, Snaps, stories and posts will always be me.”

CarynAI, she added, will be an “extension” of her consciousness; it “will never replace me.”

Les portes tournantes - Observatoire des multinationales

Les portes tournantes - Observatoire des multinationales

Des ministres qui rejoignent des multinationales, des députés qui deviennent lobbyistes ou inversement, des hauts fonctionnaires qui se mettent au service d’intérêts économiques qu’ils étaient chargés de réguler...
Enquête sur le grand brouillage des frontières entre public et privé.

Quel besoin de faire du « lobbying » au sens conventionnel du terme lorsque vous avez vos entrées privilégiées auprès des décideurs au cœur de l’État - mieux : que vous êtes, serez ou avez été l’un de ces décideurs ?

Les « portes tournantes » - autrement dit les allers-retours entre le secteur public et le secteur privé - sont sans doute l’arme fatale en matière d’influence des grandes entreprises. Non seulement elles offrent aux acteurs économiques un accès privilégié à l’information et aux décideurs, mais elles contribuent à entretenir une culture d’entre-soi et de symbiose qui gomme la frontière entre intérêt public et intérêts privés.

Il est temps de s’attaquer à une pratique qui est à la fois le moteur et le symbole de la déconnexion des élites.


Le grand mélange des genres

Un député qui, avant même la fin de son mandat parlementaire, prend les rênes du principal lobby de l’industrie agroalimentaire en France. Lobby dont l’une des employées deviendra ensuite conseillère communication du ministre de l’Agriculture, tandis qu’une autre a participé à la campagne de réélection d’Emmanuel Macron en 2022.

Des dizaines d’anciens ministres de ce même Emmanuel Macron qui partent travailler dans le secteur privé ou créent leurs propres sociétés de « conseil », et se retrouvent à faire du lobbying auprès d’anciens collègues à l’Assemblée et au gouvernement.

Deux ex premiers ministres parti pour le premier prendre la tête de la RATP, et recruté pour le second au conseil d’administration d’une grande entreprise privée, Atos, tout en restant maire du Havre et en cultivant des ambitions politiques nationales.

Une ancienne dirigeante de la Fédération bancaire française propulsée trois ans plus tard à la tête de l’Autorité des marchés financiers – autrement dit passée en quelques mois du principal lobby de la finance à l’institution chargée de réguler ce même secteur.

Un président de région qui annonce sa démission pour cause « d’impératifs familiaux » et qui rejoint quelques jours plus tard un promoteur immobilier actif dans la même région Grand-Est. Et dont on découvre à cette occasion qu’il a été rémunéré par un cabinet de lobbying parisien à hauteur de 5000 euros par mois alors même qu’il était à la tête du conseil régional.

Un secrétaire général de l’Élysée mis en examen pour prise illégale d’intérêts parce qu’il a supervisé, au nom de l’État, le destin des chantiers navals de Saint-Nazaire et du port du Havre alors même qu’il avait des liens professionnels et familiaux avec l’un de leurs principaux clients, le géant du transport maritime MSC.

"Les mobilités incessantes entre la sphère politique, la haute administration et les grandes entreprises sont devenues la norme."

Plus une semaine ne passe sans que l’on entende parler d’un ancien ministre ou un ancien député parti poursuivre sa carrière dans le secteur privé, ayant rejoint une cabinet d’avocats ou fondé une société de « conseil » pour monétiser son carnet d’adresses et son expérience des arcanes du pouvoir. En sens inverse, sous couvert d’ouverture à la « société civile », les transfuges du secteur privé sont aussi de plus nombreux au Parlement et au gouvernement.

Les élus ne sont pas les seuls concernés. Pour beaucoup de hauts fonctionnaires aussi, une carrière parsemée de passages plus ou moins longs dans le secteur privé est devenue naturelle. Les postes occupés à la tête de l’administration ou dans les cabinets ministériels ne sont parfois plus que des tremplins pour obtenir rapidement des emplois bien plus lucratifs dans les comités de direction de grandes banques ou de multinationales.


Au-delà des scandales, un enjeu démocratique

S’ils suscitent toujours autant d’indignation, les échanges de personnel entre la sphère politique, la haute administration et les grandes entreprises sont devenus silencieusement la norme, cause et symptôme à la fois du brouillage des frontières entre le public et le privé, entre le bien commun et les intérêts commerciaux.

Ces « portes tournantes » sont souvent perçues à travers un prisme éthique, celui d’élus ou de grands serviteurs de l’État qui choisiraient de « vendre leur âme » aux milieux d’affaires pour des raisons bassement vénales. Mais les cas individuels qui font scandale sont aussi – surtout ? – la pointe émergée d’un iceberg beaucoup plus profond. Les allers-retours entre le public et le privé sont devenus beaucoup plus fréquents, et il touchent tous les niveaux hiérarchiques et toutes les institutions, sans tous les garde-fous nécessaires.

Mais quel est le problème ?

Les portes tournantes sont d’abord un formidable moyen d’influence. En matière de lobbying, la capacité des grandes entreprises à recruter un ancien responsable public est souvent l’arme fatale. Ces recrutements leur offrent un accès privilégié aux décideurs, souvent décisif pour disposer des bonnes informations avant tous les autres et pour cibler les interlocuteurs pertinents, tout en étant sûres d’être entendues. Le tout sans avoir à se préoccuper des regards scrutateurs du public.

Les allers-retours public-privé contribuent à renforcer une culture de l’entre-soi, où dirigeants politiques et économiques se fréquentent quasi quotidiennement, et parfois échangent leurs rôles, en raffermissant leur vision du monde partagée à l’abri des contradicteurs.

Ce mélange des genres permanent est évidemment aussi une source inépuisable de conflits d’intérêts. Comment s’assurer qu’un responsable public évitera de favoriser une entreprise pour laquelle lui, un (ex) collègue au gouvernement, un de ses (ex) conseillers ou un (ex) directeur d’administration travaille ou a travaillé ? La vie politique est polluée par cet entrelacement de liens d’intérêts aussi innombrables qu’inextricables.

Une certaine vision biaisée du monde (et de l’économie)

L’échangisme public-privé reflète enfin le déclin programmé du sens de l’État et du service public. Car la circulation entre les deux sphères est tout sauf équilibrée. À travers les portes tournantes, ce sont les modèles, les critères et les objectifs des milieux d’affaires qui pénètrent dans la sphère publique et non l’inverse.

On dit parfois que ces mobilités seraient utiles parce qu’elles apporteraient à l’État une expérience du monde de l’entreprise, présenté comme la quintessence de la « vie réelle ». En réalité, outre qu’elles ne concernent que des postes de direction, pas vraiment représentatifs de la diversité sociale, la plupart des portes tournantes n’ont rien à voir avec une quelconque réalité économique. Les anciens responsables politiques se voient généralement confier des tâches de conseil, de lobbying ou d’affaires publiques. Ils continuent à baigner dans le même monde de symbiose public-privé, mais de l’autre côté de la barrière. Loin de refléter une conversion à « l’entrepreneuriat », ces débauchages sont plutôt le symptôme d’un monde des affaires qui vit aux crochets de la puissance publique.

Loin de refléter une conversion à « l’entrepreneuriat », ces débauchages sont plutôt le symptôme d’un monde des affaires qui vit aux crochets de la puissance publique.

« Portes tournantes » ou « pantouflage » ?

En France, on parle traditionnellement de « pantouflage » pour désigner les reconversions d’anciennes personnalités politiques ou d’anciens haut fonctionnaires dans le secteur privé. Le terme, issu du jargon de la haute fonction publique, évoque le confort matériel que les grands commis de l’État sont réputés aller chercher, en fin de carrière, dans le giron des grandes entreprises. Du coup, le terme de pantouflage a presque un côté inoffensif, comme une manière un peu coupable, mais aussi au fond assez compréhensible, de se compenser pour les sacrifices faits au service de l’intérêt général.

En réalité, il y a longtemps que les passages du public au privé ne se font plus seulement en fin de carrière, et plus seulement dans un seul sens. Il ne s’agit plus d’allers simples et définitifs – qui d’une certaine manière maintiennent la légitimité de la frontière en même temps qu’ils la franchissent – mais d’un aller-retour incessant qui a pour effet d’abolir les frontières. Aujourd’hui, la carrière typique de nos dirigeants est de commencer dans les ministères ou les cabinets, puis de passer quelques années dans le privé, puis de revenir dans le public pour un nouveau « challenge », avant de repartir dans le privé.

Les controverses occasionnées par le recrutement ou le retour dans le giron public d’anciens lobbyistes ou cadres de grandes entreprises ont obligé à inventer le terme barbare de « rétro-pantouflage », voire de « rétro-rétro-pantouflage ». Le terme de portes tournantes, utilisé en anglais (revolving doors) et dans d’autres langues, nous paraît plus facile à manier, et bien plus pertinent.

Bien sûr, il n’y a pas qu’en France

Des anciens ministres allemands, espagnols ou britanniques ont eux aussi été débauchés par des géants de l’industrie ou de la finance. À Bruxelles, l’échangisme entre milieux d’affaires et institutions européennes est une habitude tellement enracinée, depuis les stagiaires jusqu’aux échelons supérieurs de la Commission, qu’ils n’attire presque plus l’attention, sauf pour les cas les plus extrêmes. Par exemple lorsque l’ancien président de la Commission José Manuel Barroso va grossir les rangs de Goldman Sachs. Ou que Nellie Kroes, ancienne commissaire en charge du Numérique et de la Concurrence, s’empresse en fin de mandat d’aller travailler pour Uber.

En France, la pratique est désormais tout aussi solidement ancrée, d’autant qu’elle se conjugue avec une tradition ancienne de collaboration entre l’État et les grands groupes financiers et industriels.


De quoi la Macronie est-elle le nom ?

Les « portes tournantes » atteignent le sommet même de l’État. Emmanuel Macron, locataire actuel du palais de l’Élysée, a passé plusieurs années au sein de la banque d’affaires Rothschild, entre un poste à l’inspection des Finances à Bercy et sa nomination comme secrétaire général adjoint du président François Hollande. Qui sait d’ailleurs ce qu’il fera à l’issue de son deuxième quinquennat ?

Les premiers ministres successifs d’Emmanuel Macron se fondent dans le même moule. Édouard Philippe, en sus de sa carrière politique, est à l’origine un haut fonctionnaire du Conseil d’État qui a travaillé pour un cabinet d’avocats d’affaires, puis en tant que responsable des affaires publiques – autrement dit lobbyiste en chef – du groupe nucléaire Areva. Après avoir quitté Matignon, il a intégré le conseil d’administration du groupe Atos tout en conservant ses fonctions et ses ambitions politiques. Jean Castex, pour sa part, a pris la direction de la RATP après avoir brièvement fondé une société de conseil.

Plus d’un tiers des ministres d’Emmanuel Macron venaient du monde des grandes entreprises...

En 2017, beaucoup des nouveaux ministres d’Emmanuel Macron sont arrivés eux aussi en droite ligne du monde des grandes entreprises. C’est le cas de l’actuelle Première ministre Élisabeth Borne, qui a alterné divers postes dans des cabinets ministériels ou à la mairie de Paris avec des passages au sein de grands groupes – la SNCF, le groupe de BTP Eiffage, puis la RATP. Mais la liste inclut aussi Emmanuelle Wargon et Muriel Pénicaud (toutes deux de Danone), Amélie de Montchalin et Laurence Boone (Axa), Amélie Oudéa-Castera (Axa et Carrefour), Benjamin Griveaux (Unibail), Cédric O (Safran), Olivia Grégoire (Saint-Gobain), Brune Poirson (Veolia), et quelques autres.

En tout, selon notre décompte, plus d’un tiers de tous les ministres et secrétaires d’État entrés au gouvernement depuis l’accession à l’Élysée d’Emmanuel Macron (33 sur 96) étaient issus ou avaient passé une partie de la décennie précédente au service d’une ou plusieurs grandes entreprises.

… et la moitié y sont retournés

Combien d’anciens ministres et secrétaires d’État sont-ils retournés dans le privé après leur sortie du gouvernement ? Selon notre même décompte, c’est le cas d’environ la moitié d’entre eux (27 sur 53 qui ont quitté le gouvernement). Le quotidien Le Monde, qui a réalisé sa propre estimation en ne tenant compte que des portefeuilles ministériels, avance quant à lui une proportion d’un tiers.

Brune Poirson, venue au gouvernement de chez Veolia, est aujourd’hui directrice du développement durable du groupe hôtelier Accor. Muriel Pénicaud a rallié le conseil d’administration du groupe Manpower – un sujet dont elle maîtrise sans doute tous les rouages en tant qu’ancienne ministre du Travail –, tandis que Sibeth Ndiaye a été recrutée par son concurrent Adecco. Jean-Michel Blanquer, en plus de rejoindre un cabinet d’avocats, doit prendre la direction d’un réseau d’écoles de formation lancé par Veolia, Terra Academia. Certains comme Julien Denormandie, ex ministre de la Ville puis de l’Agriculture, ou Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre des Transports, sont de véritables *serial pantoufleurs*. Le premier, en plus de créer sa société de conseil, a rejoint une start-up, une société immobilière et un établissement de crédit. Le second a rejoint Hopium, une entreprise spécialisée dans la voiture à hydrogène (qu’il a quittée au bout d’un an), lancé sa propre société de conseil, et entendait se faire embaucher par le géant du transport maritime CMA-CGM, mais s’est heurté au veto de la Haute autorité de la transparence pour la vie publique (HATVP), autorité indépendante chargée de réguler l’éthique publique.

De même pour Cédric O, qui voulait rejoindre Édouard Philippe au conseil d’administration d’Atos. Problème : en tant que secrétaire d’État, il avait validé l’attribution de soutiens publics au géant du numérique. Dans une tribune publiée en janvier dans Le Monde, avant que son conflit avec la HATVP soit porté sur la place publique, il s’était plaint que qu’il lui soit difficile « d’aller travailler pour une entreprise du numérique française – dont il y a une probabilité importante qu’elle ait été aidée par l’État français ces dernières années ».

La boîte noire des sociétés de « conseil »

Pour la plupart des anciens ministres, la reconversion dans le privé se fait sous la forme de la création d’une société de « conseil ». Selon les informations publiquement disponibles, c’est le cas pour au moins Jean Castex (qui a fait radier cette société lors de sa nomination à la RATP), Roselyne Bachelot, Jean-Michel Blanquer, Christophe Castaner, Sophie Cluzel, Julien Denormandie, Jean-Baptiste Djebbari, Richard Ferrand, Laura Flessel, Delphine Geny Stephann, Benjamin Griveaux, Nicolas Hulot, Jean-Yves Le Drian, Mounir Mahjoubi, Roxana Maracineanu, Élisabeth Moreno, Françoise Nyssen, Cédric O, Florence Parly, Muriel Pénicaud, Laurent Pietraszewski, Brune Poirson, François de Rugy et Adrien Taquet. Soit près de la moitié des anciens ministres et secrétaires d’État d’Emmanuel Macron, et la quasi totalité de ceux qui sont partis dans le privé.

Créer une société de conseil est un bon moyen de rester discret sur ses activités réelles.

Créer ce type de société est un bon moyen de rester discret sur ses activités réelles, au bénéfice de qui elles s’exercent, et les revenus qu’on en tire. Elles ne publient pas leurs comptes et ne sont pas tenus de divulguer le nom de leurs clients. Elles permettent également d’échapper en partie à la surveillance de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. Ainsi, lorsque le fonds d’investissement Raise a annoncé haut et fort à l’automne 2022 s’être attiré les talents de Julien Denormandie, cela n’a pas manqué de susciter des interrogations vu que ce recrutement n’avait pas été officiellement examiné par la Haute autorité. L’explication ? Julien Denormandie aurait en réalité été recruté sous la forme d’une prestation de sa société de conseil. On se demande combien de missions similaires réalisées par des ex ministres passent sous les radars grâce à ce tour de passe-passe. L’annonce de l’embauche de Jean-Michel Blanquer par Veolia suscite les mêmes questionnements, récemment relayées par Libération.

La valse publique-privée des conseillers ministériels

En 2017, le mot d’ordre de l’ouverture à la société civile a entraîné un afflux de conseillers venus des entreprises, voire carrément de lobbys, dans les cabinets ministériels. L’un des cas les plus emblématiques – et les plus controversés - a été le recrutement d’Audrey Bourolleau, directrice du principal lobby viticole français, Vin et Société, comme conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural de l’Élysée. Elle semble d’ailleurs avoir utilisé cette position pour favoriser la cause de ses anciens employeurs.

À la fin de la mandature, de nombreux conseillers ministériels sont repartis en sens inverse. Selon un autre décompte effectué par les journalistes du Monde, sur les 602 conseillers en postes en janvier 2022, 91 avaient rejoint en décembre le secteur privé. Pour beaucoup, c’était pour la première fois de leur carrière. D’autres étaient déjà des habitués des allers-retours dans le monde de l’entreprise. Benoît Ribadeau-Dumas par exemple, directeur de cabinet d’Édouard Philippe à Matignon, avait auparavant quitté le conseil d’État pour occuper des postes au sein de Thales, CGG et Zodiac (armement). En 2020, il est reparti dans le privé, d’abord au sein du réassureur Scor, ensuite en créant une société de conseil et en intégrant Exor, le groupe de la famille Agnelli, principal actionnaire du constructeur Stellantis. Il siège également au conseil d’administration de Galileo Global Education, dont il sera question plus bas.

Des reconversions très ciblées

De manière symptomatique, ces reconversions se sont souvent faites dans les mêmes secteurs d’activité que les conseillers étaient chargés de superviser. L’ex-cheffe de cabinet du ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a rejoint le lobby des pesticides Phyteis. Une autre de ses conseillères travaille aujourd’hui pour le lobby des céréales. Des conseillers de Jean-Baptiste Djebarri au ministère des Transports ont suivi son exemple en partant chez Air France, CMA-CGM et Faurecia (équipements automobiles).

Dans le sens inverse, la nouvelle génération de ministres et de secrétaires d’État, tout comme les rescapés des gouvernements précédents, ont été cherché une partie de leurs conseillers dans les entreprises et les lobbys des secteurs dont ils ont pourtant la responsabilité. Le nouveau ministre des Armées Sébastien Lecornu a par exemple choisi comme conseiller pour l’industrie et l’innovation un ancien de chez Airbus et Thales. Au ministère de l’Agriculture, Marc Fesneau a remplacé ses conseillères sortantes en allant recruter en mai 2023 du côté du lobby de l’industrie agroalimentaire et de celui des grandes coopératives agricoles.

Doubles casquettes au Parlement

À l’Assemblée nationale et au Sénat aussi, le mot d’ordre de « l’ouverture à la société civile » a entraîné une augmentation, à partir de 2017, du nombre de parlementaires venus de grandes entreprises, ou carrément de cabinets de lobbying comme Olivia Grégoire (Avisa Partners) ou la présidente du groupe macroniste Aurore Bergé (Spintank, Agence Publics et Hopscotch). Entre 2017 et 2022, Veolia comptait ainsi pas moins de trois députées issues de ses rangs dans l’hémicycle, dont la secrétaire d’État Brune Poirson aujourd’hui chez Accor. Aujourd’hui encore, on compte quatre employés d’EDF dans les rangées de l’Assemblée, dont la macroniste Maud Brégeon, porte-parole d’Emmanuel Macron lors des récentes campagnes électorales, cheffe de file parlementaire et médiatique de la majorité sur le dossier du nucléaire.

En sens inverse, de nombreux députés macronistes qui n’ont pas été réélus en 2017 ou n’ont pas souhaité se représenter sont venus grossir les effectifs du secteur privé, et en particulier des lobbys. Mickaël Nogal a même abandonné son mandat prématurément, quelques mois avant les élections de 2022, pour prendre la direction de l’Ania, principal lobby de l’industrie agroalimentaire. Un juste retour des choses puisqu’avant d’être député, il était déjà lobbyiste pour le groupe Orangina. Jean-Baptiste Moreau, ancien agriculteur et pourfendeur de l’alimentation « vegan » et des écologistes durant la mandature, travaille désormais pour le cabinet de lobbying RPP. Jean-Charles Colas-Roy, ancien député de l’Isère, a quant à lui pris la direction de Coénove, association de lobbying de l’industrie gazière.

Casseroles politiques

Beaucoup des affaires qui entachent aujourd’hui la Macronie sont liées à la pratique trop assidue des portes tournantes, qui créent de véritables bourbiers de conflits d’intérêts.

Le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler est aujourd’hui mis en examen pour prise illégale d’intérêts parce qu’il a participé activement à plusieurs décisions stratégiques relatives à la gestion de STX (Chantiers de l’Atlantique) et du port du Havre alors qu’il entretenait des liens personnels et familiaux avec l’un de leurs principaux clients et partenaires, le géant du transport maritime MSC. Entre deux fonctions à Bercy et à l’Élysée, il a même été quelques mois directeur financier de MSC, au moment même où il participait à la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron.

Dans l’affaire Alstom, une partie des soupçons s’oriente sur le financement de la première campagne présidentielle d’Emmanuel Macron par des parties qui auraient bénéficié du rachat controversé des activités énergie du champion français par General Electric. Hugh Bailey, conseiller d’Emmanuel Macron à Bercy au moment des faits, a d’ailleurs pris la tête de General Electric France en 2019.

Ce sont loin d’être les seules casseroles que traînent derrière eux les alliés politiques d’Emmanuel Macron. L’actuelle première ministre Élisabeth Borne, d’abord en tant que principale conseillère de Ségolène Royal puis en tant que ministre des Transports, a joué un rôle clé dans la signature de contrats très controversés avec les concessionnaires autoroutiers, alors qu’elle a elle-même travaillé pour l’un d’entre eux, Eiffage. Roland Lescure, actuel ministre de l’Industrie, s’est fait le fer de lance de la privatisation avortée d’Aéroports de Paris au Parlement et dans les médias, sans préciser que l’un des principaux repreneurs potentiels n’était autre que son ancien employeur, la Caisse des dépôts et placements du Québec.

L’apogée d’une tendance de long terme

La pratique des portes tournantes, longtemps restée discrète voire honteuse, est désormais assumée comme telle au plus haut de l'État.

Emmanuel Macron n’est certes pas le premier dirigeant de la République à pratiquer l’échangisme public-privé. Georges Pompidou a lui aussi passé quelques années dans la même banque Rotschild dans les années 1950. Plus récemment, d’anciens ministres de François Hollande sont eux aussi partis dans le secteur privé, à l’image de Fleur Pellerin (fonds d’investissement Korelya et Crédit mutuel, entre autres), Axelle Lemaire (Roland Berger) ou Myriam El Khomri, qui a créé une société de conseil. L’habitude de recruter des conseillers dans le secteur privé existait déjà, quand bien même elle s’est renforcée. Et le Parlement avait déjà connu son lot d’affaires retentissantes, à commencer par les révélations sur les douteuses activités de « conseil » de François Fillon au profit du CAC40 et de la Russie.

Pourtant, on peut considérer qu’un pas a bien été franchi en 2017. Jamais l’échangisme entre l’État et milieux d’affaires ne s’était trouvé à ce point normalisé et légitimé que sous les deux derniers quinquennats. Le grand carrousel public-privé ne concerne pas seulement le président, mais aussi ses principaux conseillers, ses ministres et nombre de députés de sa majorité.


Quand régulateurs et régulés échangent leurs places

Quoi de plus efficace pour convaincre un décideur que de lui envoyer... un de ses anciens collègues ? Les cabinets de lobbying et les associations industrielles raffolent des profils d’ex élus ou hauts fonctionnaires, particulièrement s’ils avaient des responsabilités dans le secteur d’activité qui les intéresse directement. Carnet d’adresses, maîtrise technique des dossiers et des rouages de l’administration, facilité d’accès aux décideurs... Ces recrutements ont de nombreux avantages.

La conséquence, c’est que lorsque les représentants de l’État s’assoient à la même table que les représentants de l’industrie qu’ils ont pour rôle de superviser et de réguler, ils se retrouvent souvent avec pour interlocuteurs...une majorité d’anciens collègues. Si l’on compare leurs profils et leurs parcours, il devient de plus en plus difficile de discerner une différence entre régulateurs et régulés.

Petits arrangements entre amis

Du côté du ministère des Finances, il serait inimaginable de commencer à travailler sur un projet de loi ou de réglementation sans en parler à la Fédération bancaire française.

Prenons le cas de la Fédération bancaire française (FBF), principal lobby de la finance en France. Du côté du ministère des Finances, il serait inimaginable de commencer à travailler sur un projet de loi ou de réglementation sans les rencontrer et récolter leur avis bien en amont, avant même que les parlementaires et a fortiori la société civile soient même avertis de leurs projets. Ils pourront d’ailleurs échanger en toute confiance, puisque leurs interlocuteurs ne seront autres que d’anciens collègues de Bercy. Si la présidence de la FBF est assurée, de manière tournante, par l’un ou l’autre des patrons de BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole ou BPCE (eux-mêmes issus des rangs de la haute fonction publique), le comité de direction de la fédération est composé majoritairement d’anciens serviteurs de l’État : trois membres du comité exécutif, dont la directrice générale Maya Attig, viennent de Bercy, une autre a occupé diverses fonctions dans des cabinets ministériels ou de collectivités locales, et un autre encore, conseiller à la sécurité, vient du ministère de l’Intérieur. Seul un membre sur six a effectué une carrière « normale » dans le privé, sans passage par le secteur public.

Le mouvement se fait aussi en sens inverse. Marie-Anne Barbat-Layani, il y a peu déléguée générale de cette même Fédération bancaire française, est aujourd’hui à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF). C’est l’aboutissement d’une carrière de plus en plus typique : la direction du Trésor, la Représentation française auprès de l’Union européenne, le Crédit agricole, le cabinet du Premier ministre François Fillon, puis la FBF et enfin, après les trois années réglementaires à Bercy, la direction de l’AMF. Pour symbolique qu’elle soit, cette nomination n’est en réalité que le dernier épisode en date d’une longue histoire d’allers-retours entre les plus hauts échelons de l’État et les géants bancaires – particulièrement, comme on y reviendra, pour les inspecteurs généraux des finances. En 2015, la nomination de François Villeroy de Galhau, dirigeant de BNP Paribas, à la tête de la Banque de France, avait déjà fait scandale.

Télécoms, numérique, énergie : la fabrique de l’entre-soi

Le secteur des télécoms est lui aussi particulièrement propice aux échanges de places entre secteur public et secteur privé. Le patron de la Fédération française des télécoms est lui aussi un ancien des autorités de régulation Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse) et Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, issue de la fusion entre CSA et Hadopi) ainsi que du ministère du Numérique. Un autre membre du comité de direction a travaillé dans différents ministères après avoir été assistant parlementaire, tout comme un de ses collègues qui a ensuite, lui, été conseiller le maire du XIXe arrondissement de Paris. Une autre encore a travaillé pour le CSA et le ministère de la Culture.

mpossible de ne pas évoquer non plus le secteur de l’énergie. Dans l’équipe de l’Union française de l’électricité, au moins deux personnes viennent de la Commission de régulation de l’énergie, autorité chargée de superviser le secteur, tandis qu’une autre a travaillé pour deux autres autorités indépendantes, l’Autorité de la concurrence et l’Arafer (transport).

Dans d’autres lobbys sectoriels, la proportion de cadres issus de la fonction publique n’est pas aussi caricaturale, mais reste néanmoins importante. L’actuel directeur du LEEM, le lobby de l’industrie pharmaceutique en France, est un ancien de l’Agence du médicament et du ministère de la Santé.

Les GAFAM s’acclimatent aux traditions françaises

De plus en plus critiqués, les géants américains du web ont dû muscler ces dernières années leur machinerie de lobbying en France et en Europe, et ils ont immédiatement compris l’intérêt de faire un usage stratégique des portes tournantes.

Le directeur des affaires publiques Europe d’Amazon est par exemple un ancien conseiller à Bercy et Matignon et maître des requêtes au Conseil d’État. Le géant de l’e-commerce peut également compter sur les services d’un ancien de l’Arcom (ex CSA). Idem chez Apple, Microsoft, Facebook, Uber ou Airbnb. Mais c’est Google qui remporte la palme dans ce domaine. Parmi ses lobbyistes, on trouve ou on a trouvé un ancien de l’Autorité de régulation des télécommunications et du ministère des Affaires étrangères, une ancienne représentante de la direction du développement des médias pour la société de l’information à Matignon, un ancien maître des requêtes au Conseil d’État, une ancienne du cabinet du ministère de l’Industrie, et un ancien directeur général de l’Arcep, Benoît Loutrel.

La symbiose public-privé

À l’image de la nomination de Marie-Anne Barbat-Layani à l’AMF, les autorités indépendantes de régulation voient aussi désormais arriver à leur tête des transfuges du secteur privé.

Ces mouvements de personnel existent aussi au niveau européen. En 2020, Airbus a ainsi recruté l’ancien patron de l’Agence européenne de défense. La même année, c’est le patron de l’Autorité bancaire européenne qui a rejoint l’Association pour les marchés financiers en Europe (AFME), l’un des principaux lobbys du secteur à Bruxelles. Comble du comble, l’Autorité bancaire s’apprêtait à embaucher, pour le remplacer ... un ancien dirigeant de l’AFME ! Elle y a finalement renoncé sous le feu des critiques venant notamment du Parlement européen.

Pourquoi les échanges de personnels entre régulateurs et régulés sont-ils particulièrement importants dans des secteurs comme la finance ou le numérique ? Ce sont des domaines d’activités très régulés et dont la compréhension requiert un certain niveau d’expertise technique – laquelle est difficile à trouver en dehors des grandes entreprises concernées. Les réglementations sont souvent négociées pied à pied avec les industriels, ce qui les rend encore plus difficiles à maîtriser pour le commun des mortels. Cela crée un cercle vicieux où, au mieux, les experts du secteur public ou privé font affaire entre eux loin des regards des citoyens, et, au pire, les régulateurs recrutent d’anciens banquiers parce qu’ils sont les seuls à pouvoir comprendre les régulations qu’ils sont censés appliquer... vu que ce sont eux qui les ont conçues.

McKinsey, Capgemini : portes tournantes contre contrats de conseil

L’« affaire McKinsey » a mis en lumière le rôle croissant des consultants en stratégie dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. Rien que pour l’année 2021, l’État a dépensé la bagatelle de 2,5 milliards d’euros au profit de ces cabinets, pour des travaux dont la qualité est souvent questionnée. Ce juteux « business » se nourrit lui aussi de portes tournantes. La Direction interministérielle à la transformation publique compte en son sein de nombreux anciens employés de cabinets, alors même qu’elle est chargée de coordonner une partie des missions de conseil commandées par l’État. Un de ses chefs de service vient par exemple de Capgemini.

En 2021, le cabinet Roland Berger est allé jusqu'à proposer à Bercy l'aide... d'une ancienne secrétaire d'État, Axelle Lemaire

De leur côté, les cabinets raffolent des profils d’anciens hauts fonctionnaires. Capgemini, par exemple, a recruté en août 2022 l’ancien conseiller chargé de l’approvisionnement stratégique, électronique et numérique au ministère chargé de l’Industrie. Ces débauchages constituent ensuite des arguments de poids pour décrocher des marchés publics. En 2021, le cabinet Roland Berger est allé jusqu’à proposer à Bercy l’aide... d’une ancienne secrétaire d’État, Axelle Lemaire.

Transports, éducation, santé : un rouage essentiel de la machine à privatiser

Les grands pantoufleurs des années 1980 et 1990 étaient souvent les hauts fonctionnaires qui préparaient la privatisation d’entreprises publiques, et finissaient par prendre la direction de ces dernières, à l’image de l’ancien patron de GDF Jean-François Cirelli, aujourd’hui à la tête de BlackRock France. Aujourd’hui, ce sont ceux qui préparent les « ouvertures à la concurrence ». Qui dit libéralisation dit nouvelles opportunités de profits, et comment mieux les saisir que de s’adjoindre les services des anciens responsables publics qui ont eux-mêmes élaboré le cadre réglementaire de la libéralisation et en connaissent tous les rouages, ou bien connaissent personnellement les futurs clients qui devront signer les marchés ?

Après le transport aérien, les télécommunications, l’énergie et les services postaux (entre autres), ce sont aujourd’hui les secteurs des transports urbains et des trains régionaux qui passent sous la loi du marché. Conséquence directe : les entreprises du secteur recrutent d’anciens décideurs à tour de bras. Si l’ancien Premier ministre Jean Castex a pris la tête de la RATP, son concurrent Transdev a recruté son ancienne conseillère chargée des transports, Alice Lefort, de même que deux anciennes conseillères du ministre des Relations avec les collectivités territoriales Joël Giraud, un cadre d’Ile-de-France Mobilités, et un directeur adjoint de cabinet à la région Grand Est, selon le décompte du magazine Challenges.

Ce qui vaut aujourd’hui pour les transports vaudra-t-il demain pour l’éducation ou la santé, futures frontières de l’ouverture à la concurrence ? C’est ce que l’on peut soupçonner à voir la politique récente de recrutement de Galileo, révélée par Libération. Cette multinationale de l’enseignement supérieur privé a fait venir à son C.A. l’ex ministre Muriel Pénicaud et l’ancien directeur de cabinet à Matignon Benoît Ribadeau-Dumas, et s’est également adjoint les services de Martin Hirsch (ancien Haut commissaire aux solidarités et directeur des hôpitaux de Paris) et de l’ancien PDG de la SNCF Guillaume Pépy.


« Le lobby, c’est l’État »

« En France, le lobby, c’est l’État », disait une ancienne ministre de l’Environnement. Elle parlait du nucléaire, mais le même constat pourrait être fait sur bien d’autres dossiers. Dans certains ministères, une bonne partie des responsables publics sont déjà largement acquis à la cause des intérêts économiques qu’ils sont chargés de superviser, de sorte qu’il n’y a même pas besoin de les « influencer ». Ce sont au contraire eux qui se chargeront de faire du lobbying auprès des autres ministères.

Si les personnels des ministères, des autorités de régulation et des entreprises sont issus du même moule, il y a peu de chances qu'ils remettent en cause le modèle dominant.

Cette solidarité au sommet se construit en particulier au niveau des grandes écoles et des grands corps de l’État, viviers des dirigeants du public comme du privé, comme les Mines ou l’Inspection générale des finances. Si les personnels des ministères, les dirigeants des autorités de régulation et les cadres des entreprises sont tous issus du même moule et du même cénacle et s’échangent régulièrement leurs places, il y a peu de chances qu’ils remettent en cause le modèle dominant qui fait leur prospérité collective, qu’il s’agisse de la haute finance dérégulée, du nucléaire ou de l’agriculture industrielle.

L’Inspection générale des finances (IGF), machine à pantoufler

Quel est le point commun entre Emmanuel Macron, François Villeroy de Galhau, Marie-Anne Barbat-Layani, Jean-Pierre Jouyet, François Pérol, Pascal Lamy, Alain Minc, le directeur de Bpifrance Nicolas Dufourcq, et les anciens patrons d’Orange, Saint-Gobain ou la Société générale ? Ils sont tous issus du corps des inspecteurs des finances, et ils ont tous alterné des postes à haute responsabilité dans le public et dans le privé.

Ils sont loin d’être l’exception puisque selon un décompte réalisé par Basta ! sur les promotions successives de l’IGF entre 1975 et 2019, 59% des inspecteurs des finances ont fait au moins un passage dans le secteur privé, et plus d’un tiers ont travaillé pour une grande banque.

Avec un tel niveau d’entre-soi, comment s’étonner que le secteur financier reste aussi mal régulé ? Suite à la crise financière de 2008, de nombreuses voix s’étaient élevées pour réclamer de remettre la finance sous contrôle. Les géants du secteur ont su trouver les moyens de tuer ces velléités dans l’oeuf. Le projet de loi français sur la « séparation bancaire » de 2013, par exemple, a été vidé de sa substance depuis l’intérieur même de Bercy, par un comité baptisé « comité BNP Paribas » du fait du profil de ses membres. Parmi les principaux responsables de cette échec organisé, Ramon Fernandez, alors directeur du Trésor, est aujourd’hui chez le géant du transport maritime CMA-CGM après avoir passé plusieurs années chez Orange, tandis que le principal conseiller pour le secteur financier du Premier ministre de l’époque, Nicolas Namias, est président du directoire de BPCE.

Gardiens du temple atomique

Le nucléaire est un autre secteur éminent de convergence d’intérêts public-privé, autour duquel se coalisent des grandes entreprises, des institutions de recherche et différents rouages de l’appareil d’État. Le corps des Mines, dont on retrouve des représentants partout où se décide la politique énergétique de la France, est le gardien du temple atomique depuis les entreprises jusqu’au plus haut de l’État en passant par le Commissariat à l’énergie atomique, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Il s’incarne aujourd’hui dans des personnalités comme Bernard Doroszczuk, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire ou encore Antoine Pellion, conseiller Energie-environnement à Matignon et auparavant à l’Elysée (qui a travaillé naguère pour Areva). Les patrons de TotalEnergies, Thales, Engie, Valeo, Orano, entre autres, sont également issus du corps des Mines, de même que Jacques Attali et des politiques comme François Loos, Hervé Mariton ou le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol. Cette omniprésence à tous les niveaux de décision explique que les partisans de l’atome aient réussi, durant des années, à contrecarrer la mise en œuvre effective des objectifs officiels de réduction de la part du nucléaire... jusqu’à ce que ces objectifs soient finalement abandonnés !

La diplomatie française au service du pétrole

Les intérêts des multinationales tricolores dictent de plus en plus la politique étrangère de la France. Sous couvert de « diplomatie économique », le gouvernement en vient même à défendre bec et ongles à des projets pétroliers extrêmement controversés comme ceux que TotalEnergies veut développer aujourd’hui en Ouganda et en Tanzanie. Malgré les critiques, l’ambassadeur de France sur place, le ministère des Affaires étrangères et l’Élysée ont tous apporté un soutien actif à la conclusion des contrats.

Ce soutien s’explique par les liens étroits entre TotalEnergies et la diplomatie française, construits à grands coups de portes tournantes. Conseillers de l’Elysée, conseiller spécial du ministre de la Défense, diplomates, directrice de la diplomatie économique au Ministère... Les exemples sont nombreux. En 2022, c’est du côté du ministère des Armées que le groupe pétrolier a été recruter, s’assurant les services des anciens conseillers pour les affaires industrielles et pour l’Afrique.

La représentation française à Bruxelles, étape obligée dans les carrières publiques-privées ?

On dénonce souvent le poids et l’influence des lobbys à Bruxelles, mais parmi les institutions européennes, la moins transparente est sans doute le Conseil, où les États membres se retrouvent à huis clos pour négocier des compromis au nom de leurs « intérêts supérieurs », souvent confondus avec ceux des grandes entreprises. Un nombre non négligeable de hauts fonctionnaires de Bercy qui pantouflent ensuite dans le secteur privé ont fait un passage à la Représentation française auprès de l’UE, chargée de ces négociations. Le diplomate Pierre Sellal, deux fois Haut représentant de la France à Bruxelles de 2002 à 2009, puis de 2014 à 2017, a siégé au conseil d’administration d’EDF et travaille aujourd’hui pour un cabinet d’avocats d’affaires, August Debouzy.

Le même phénomène s’observe à tous les échelons de la hiérarchie. Un conseiller sur l’énergie à la représentation française à Bruxelles a par exemple travaillé pour TotalEnergies et d’anciens conseillers en énergie sont devenus lobbyistes pour Engie, Arianespace et EDF Renouvelables. De même, d’anciens conseillers sur les questions financières à la représentation travaillent désormais pour la Société générale, Amundi ou encore pour la Fédération bancaire française. Un conseiller en matière de justice et d’affaires intérieures a travaillé pour Safran pendant dix ans.

Une haute fonction publique-privée

Le débauchage d’anciens responsables publics est une stratégie d’influence que l’on retrouve partout : à Bruxelles, dans les différentes capitales européennes, aux États-Unis et ailleurs. En France, cependant, les portes tournantes viennent s’inscrire dans une tradition plus ancienne de consanguinité entre l’État et les grandes entreprises. Elles contribuent à consolider ce que l’on pourrait appeler une « haute fonction publique-privée », qui sait imposer sa vision du monde par-delà les alternances politiques.


Près de la moitié du CAC40 a un patron issu des grands corps de l’État

Un grand nombre des patrons du CAC40 ont passé une bonne partie de leur carrière dans la haute administration et les cabinets ministériels. En plus de remplir leur carnet d’adresses et de cultiver leurs liens personnels avec les décideurs, ce passage par le secteur public leur permet aussi d’entretenir l’illusion qu’ils continuent à incarner d’une certaine manière la France et ses intérêts, même si en pratique ils pensent surtout à choyer leurs actionnaires.

Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, est par exemple issu de Polytechnique et du corps des Mines. Passé par le ministère de l’Industrie et dans les cabinets d’Édouard Balladur et François Fillon dans les années 1990, il rejoindra ensuite l’entreprise pétrolière publique Elf, absorbée par Total en 2000. L’ancien PDG d’Orange Stéphane Richard était dans la même promotion de l’ENA que les ex-ministres Christian Paul et Florence Parly, mais aussi que le DG de la Société générale et futur président du conseil d’administration de Sanofi Frédéric Oudéa, que l’ancien patron de l’Agence des participations de l’État David Azéma (passé chez Bank of America - Merrill Lynch puis Perella Weinberg) ou encore que Nicolas Bazire, ancien conseiller d’Édouard Balladur et Nicolas Sarkozy aujourd’hui chez LVMH.

D’après les calculs que nous avions faits dans l’édition 2022 de CAC40 : le véritable bilan annuel, sur 66 dirigeants du CAC40 (PDG, DG et présidents de C.A.), 25 sont issus de la haute fonction publique et des cabinets ministériels – c’est-à-dire un gros tiers. Si l’on enlève les dirigeants originaires d’autres pays et les groupes appartenant à des familles milliardaires, cette proportion s’élève à 25 sur 46 - plus de la moitié.

Quand l’État fait la publicité des pantouflages

Il n’en fallait pas davantage pour que les représentants de l’État fassent la promotion des portes tournantes, comme argument pour attirer les talents ! Les grands corps comme l’Inspection générale des Finances vantent depuis longtemps aux jeunes énarques les perspectives de carrière qu’ils offrent dans le secteur privé après quelques années passées à Bercy. Aujourd’hui en effet, commencer sa carrière dans le public semble un moyen plus commode et plus rapide de conquérir rapidement des postes de direction dans le privé, plutôt que de gravir péniblement les échelons hiérarchiques.

La promotion des allers-retours public-privé semble de plus en plus décomplexée. Récemment, la direction du Trésor a publiquement vanté sur les réseaux sociaux le fait que l’un de ses cadres, Lionel Corre, avait été recruté par le cabinet de conseil en stratégie BCG. Quelques mois auparavant, c’était Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, qui conseillait à ses élèves d’aller manger à tous les râteliers au cours de leur carrière – une pratique qu’il connaît bien lui-même puisque ce condisciple d’Emmanuel Macron à l’ENA a commencé dans la fonction publique avant d’aller travailler à la SNCF puis chez Danone.

Un État actionnaire au service du marché plutôt que l’inverse

Plus de la moitié du CAC40 compte une institution publique française parmi ses actionnaires. Mais cet actionnariat public ne signifie pas que ces groupes soient davantage gérés dans une perspective d’intérêt général. Ils sont au contraire à l’avant-garde du brouillage des frontières public-privé.

La pratique assidue des portes tournantes dans les agences et des institutions qui incarnent l’État actionnaire - l’Agence des participations de l’État (APE) et Bpifrance – explique et illustre à la fois ce dévoiement. Martin Vial, directeur de l’APE jusque juin 2022, est parti travailler pour le fonds d’investissement Montefiore. Son prédécesseur Régis Turrini est aujourd’hui dans la banque UBS, et le prédécesseur de celui-ci, David Azéma, chez Perella Weinberg Partners après Bank of America. La directrice générale adjointe de l’APE et sa représentante aux conseils d’administration d’Engie, Orange et Safran est passée successivement par BNP Paribas, la direction du Trésor à Bercy, la SNCF et le fonds Wendel avant de rejoindre l’agence. Le même constat vaut pour Bpifrance. Son patron Nicolas Dufourq, passé par l’ENA, Bercy et l’Inspection générale des Finances, a travaillé pour Orange et Capgemini avant d’occuper ses fonctions actuelles.

De même et par conséquent, les entreprises publiques – la SNCF, la RATP et La Poste, mais aussi celles qui ont été partiellement privatisées comme Orange, Engie et (un temps) EDF, ainsi que les acteurs de la finance publique que sont la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale – sont une destination privilégiée pour les portes tournantes, comme on l’a vu encore récemment avec la nomination de l’ancien Premier ministre Jean Castex à la tête de la RATP. Les anciens responsables publics peuvent y mettre un premier pied dans le monde de l’entreprise, tout en se donnant l’impression de servir encore l’intérêt général. Un véritable laboratoire du mélange des genres.


Quelles solutions ?

Malgré la multiplication des scandales, et en dépit de leur rôle central dans les stratégies d’influence des grands intérêts privés, les « portes tournantes » sont restées longtemps sans régulations ni garde-fous. On commence à peine à prendre la mesure du problème.

Depuis 2020, la supervision des « mobilités public-privé » est du ressort de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). C’est un indéniable progrès, dans la mesure où les portes tournantes sont désormais encadrées par une autorité indépendante du pouvoir exécutif. Cependant, les lois et règles en vigueur restent limitées, et pleines de lacunes parfois importantes. Surtout, ces règles ne restent que des palliatifs, qui ne permettent de traiter que les cas les plus outrageux, sans s’attaquer à la racine du problème.

Dans l’article ci-dessous, nous avançons quelques pistes et idées pour remettre notre démocratie dans le sens de la marche.